Le Rendez-vous des Tuilleries (Michel BARON)

Sous-titre : le coquet trompé

Comédie en trois actes, en prose, précédée d’un prologue et agrémentée de divertissements.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre-Français, le 3 mars 1685.

 

Personnages du prologue

 

M. DE LA THUILLERIE

MADEMOISELLE BEAUVAL

M. LE BARON

M. RAISIN L’AÎNÉ

M. DE LA TORILLIÈRE

M. BEAUVAL

CRISPIN

UN MARQUIS

PHILISTE

AMINTE

CLORIS

CLÉANTE

CHAMPAGNE

PICARD

 

Personnages de la comédie

 

MAÎTRE MICHAUT, Suisse

LA VERDURE, Laquais

LA MONTAGNE, Laquais

LA FLEUR, Laquais

LA VIOLETTE, Laquais du Vicomte

DUMONT, Grison de la Marquise

LE VICOMTE, Amant de la Marquise

ÉRASTE, Amant de la Marquise

DORANTE, Amant de la Comtesse

M. DARCY, Écuyer de la Maison

ARCHAMBAUT, Joueur

LE MARQUIS DE MESSIN

LE CHEVALIER DE FONTEVIEUX

LA MARQUISE

LA COMTESSE

DU LAURIER, Femme de Chambre de la Marquise

MADAME ARGANTE

LE VENDEUR D’EAU-DE-VIE

BENVILLE, Maître à danser

 

La scène est dans une salle basse de la maison de la Marquise.

 

 

PROLOGUE

 

 

Scène première

 

MADEMOISELLE BEAUVAL, M. DE LA THUILLERIE

 

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Monsieur de la Thuillerie, que veut donc dire ceci ? Je ne devinerais point que l’on joue aujourd’hui une Pièce nouvelle ; il est près de cinq heures, et je ne vois encore personne d’habillé. À quoi vous amusez-vous ?

M. DE LA THUILLERIE.

Moi ?

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Ah ! il est vrai que vous n’y jouez point. Champagne, Champagne, Janot, Champagne, Lacronier, Champagne ?

 

 

Scène II

 

MADEMOISELLE BEAUVAL, M. DE LA THUILLERIE, CHAMPAGNE

 

CHAMPAGNE.

Mademoiselle.

MADEMOISELLE BEAUVAL.

À quoi songes-tu ? Que fais-tu ? D’où viens-tu ? Pourquoi n’allumes-tu pas ? Il faut faire maison neuve ; il y a deux heures que je suis habillée, moi ; Se ces coquins-là...

CHAMPAGNE.

Mademoiselle, si vous voulez, tout sera prêt dans un moment ; mais Monsieur le Baron vient de m’envoyer dire de ne pas allumer sitôt.

M. DE LA THUILLERIE.

Jusques à présent il n’y a pas encore grand mal ; mais pour peu qu’il tardât...

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Il prend bien son temps, pour se faire attendre, le jour d’une Pièce nouvelle. Je vais parier qu’il joue à trois dés, de l’heure qu’il est.

M. DE LA THUILLERIE.

La peste, qu’il n’a garde !

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Hé pourquoi ?

M. DE LA THUILLERIE.

La Pièce que nous allons jouer est de lui.

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Qui vous l’a dit ?

M. DE LA THUILLERIE.

Lui-même, hier il l’annonça.

 

 

Scène III

 

MM. LE BARON et DE LA THUILLERIE, MADEMOISELLE BEAUVAL, PICARD

 

M. LE BARON.

Hai, Picard, Picard, Picard ?

PICARD.

Monsieur.

M. LE BARON.

Tiens, prends mon manteau, et reporte mes habits chez moi, je ne jouerai point d’aujourd’hui.

MADEMOISELLE BEAUVAL

Courage ; voici quelque chose de nouveau.

M. LE BARON.

Picard, dis au Portier en même-temps qu’il n’a qu’à rendre l’argent.

M. DE LA THUILLERIE.

Y songez-vous ?

M. LE BARON.

J’y ai songé

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Êtes-vous fou ?

M. LE BARON.

Non, Mademoiselle, je ne suis point fou.

M. DE LA THUILLERIE.

Je vais au plus vite empêcher que l’on ne fasse ce que vous dites.

 

 

Scène IV

 

MM. LE BARON et RAISIN, MADEMOISELLE BEAUVAL

 

M. LE BARON, à M. de la Thuillerie qui s’en va.

Cela sera inutile.

M. RAISIN.

Et qu’est-ce, Monsieur Baron, n’allez-vous pas vous habiller ?

MADEMOISELLE BEAUVAL.

C’est un fou.

M. LE BARON.

Fort bien.

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Quel impertinent !

M. RAISIN.

Qu’est-ce donc ?

M. LE BARON.

Elle raille.

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Non, ma foi, je ne raille point.

M. LE BARON.

Oh que si.

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Je suis lasse de vos sottises, au moins.

M. LE BARON.

Que n’êtes-vous toujours comme cela ?

M. RAISIN.

Je ne comprends rien.

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Quel extravagant !

M. LE BARON.

Que la voilà de bonne humeur !

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Quel ridicule !

M. LE BARON.

Courage.

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Monsieur le Baron ?

M. LE BARON.

Mademoiselle.

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Je vous dirai quelque chose qui ne vous plaira pas.

M. LE BARON.

Tout me plaira de vous.

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Oh finirions.

M. LE BARON.

Quand vous voudrez.

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Je n’aime point vos plaisanteries.

M. LE BARON.

Je ne vous en fais point.

MADEMOISELLE BEAUVAL.

À qui pensez-vous avoir affaire ?

M. LE BARON.

À vous-même.

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Je suis lasse d’en souffrir.

M. LE BARON.

Je n’en suis pas cause.

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Laissez-moi en repos.

M. LE BARON.

Vous êtes trop charmante comme cela.

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Allez vous promener.

M. LE BARON.

Comme elle se divertit !

MADEMOISELLE BEAUVAL.

La peste vous étouffe.

M. LE BARON, en riant.

Ah ! ah ! ah !

 

 

Scène V

 

MM. LE BARON, RAISIN et BEAUVAL, MADEMOISELLE BEAUVAL

 

M. BEAUVAL.

Qu’est-ce donc que j’entends ?

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Faut-il le demander ?

M. LE BARON.

Il y a une heure que nous plaisantons tous deux.

M. BEAUVAL.

Vous ne sauriez être un moment ensemble sans vous quereller ?

LE BARON.

Bon ! ne voyez-vous pas qu’elle rit ?

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Qui ? moi, je ris ? jarni. Ah, ah, ah.

M. LE BARON.

Hé bien, que vous disais-je ?

M. BEAUVAL.

Par ma foi vous êtes fous tous deux.

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Qui ne rirait de toutes ces folies ?

M. LE BARON.

Mais que ne riez-vous donc toujours ?

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Il ne me plaît pas. Ah ! mort de ma vie, si j’étais homme...

M. LE BARON.

Bon, la voilà qui pleure.

M. BEAUVAL.

Hé ne lui dites rien.

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Oui, je pleure de rage de voir un fou. Ah, ah, ah, parce que je ne suis qu’une femme...

M. BEAUVAL.

Mademoiselle Beauval, allez, je vous prie, achevez de vous habiller.

MADEMOISELLE BEAUVAL.

Oh ! mort de ma vie, si tu étais de mon humeur...

M. BEAUVAL.

Oh ! faites-donc ce que l’on vous dit.

 

 

Scène VI

 

MM. LE BARON, RAISIN et BEAUVAL

 

M. LE BARON.

Rire, pleurer, et quereller tout ensemble, voilà ce qu’on appelle une bonne Comédienne.

M. BEAUVAL.

Le beau plaisir que vous avez, de la mettre en colère !

M. LE BARON.

Pourquoi s’y met-elle mal-à-propos ?

M. BEAUVAL.

N’a-t-elle pas raison ? On vient de nous dire à la porte que vous ne vouliez pas jouer.

 

 

Scène VII

 

MM. LE BARON, RAISIN, BEAUVAL, DE LA THUILLERIE et DE LA TORILLIÈRE

 

M. DE LA THUILLERIE.

Je viens d’empêcher que l’on n’exécutât vos ordres.

M. RAISIN.

Vous avez fort bien fait.

M. LE BARON.

Vous jouerez donc une autre Pièce ; car pour celle-ci...

M. DE LA THUILLERIE.

Mais du moins dites-moi les raisons d’une résolution si étrange ?

M. LE BARON.

Oh voilà ce qu’il me fallait demander, et non pas s’emporter contre moi, comme Mademoiselle Beauval vient de faire.

M. DE LA TORILLIÈRE.

Dites-nous-les donc, et ne perdez point de temps ; car le monde commence à venir, et il faut au plus vite, ou se résoudre à ne point jouer, ou nous habiller promptement.

M. LE BARON.

Je le veux bien ; et de plus, je vous promets de jouer, pourvu que vous me promettiez d’exécuter ce que je vais vous proposer, en cas même que vous le trouviez raisonnable.

M. DE LA TORILLIÈRE.

Dépêchez-vous donc, on vous le promet.

M. LE BARON.

Assurément.

M. RAISIN.

Oui, nous vous le promettons tous.

M. LE BARON.

Je commence. Vous savez bien, Messieurs, que depuis un an au moins...

M. DE LA TORILLIÈRE.

Avant la naissance du Monde et sa création.

M. LE BARON.

Oh laissez-moi parler.

M. RAISIN.

Ne l’interrompez pas.

M. DE LA TORILLIÈRE.

Poursuivez.

M. LE BARON.

Messieurs, en deux mots, je suis informé de bonne part que des gens mal intentionnés doivent se trouver ici pour critiquer et siffler ma Pièce : je crois qu’elle mérite de l’être, et je me rends justice ; mais je serais au désespoir que ce malheur m’arrivât par un dessein prémédité.

M. RAISIN.

Allez, allez, une Pièce n’en est pas plus mauvaise, pour être un peu sifflée.

M. LE BARON.

Certains Auteurs le croient au moins, et j’en vis un, il n’y a pas bien longtemps, prendre des huées pour des applaudissements, et s’endormir à l’harmonie des sifflets. Pour moi, je vous avoue que je ne me consolerais jamais d’un pareil accident.

M. DE LA THUILLERIE.

Hé ! y a-t-il tant de façons ! Il faut s’en plaindre au Roi.

M. LE BARON.

Doucement, doucement, Monsieur, cela ne va pas si vite : il ne faut pas mettre comme cela le Roi à tous les jours. Il nous importe de savoir mieux ménager l’honneur qu’il nous fait de nous écouter ; et si quelquefois nous sommes obligés d’implorer sa bonté, et de le faire entrer dans de petits détails où il veut bien descendre, ce ne doit être, au moins, qu’après avoir examiné si nous ne pouvons point venir à bout par nous-mêmes de ce que nous souhaitons : mais il ne laisse pas que d’y avoir des manières de se plaindre, sans faire tant de bruit.

 

 

Scène VIII

 

CRISPIN, MM. LE BARON, DE LA THUILLERIE, BEAUVAL, RAISIN et DE LA TORILLIÈRE

 

CRISPIN.

Qu’est-ce donc, Messieurs ? on dit que Monsieur le Baron ne veut pas jouer. Hé bien ! y a-t-il tant de façons ? Jouons une autre Pièce, me voilà prêt.

M. LE BARON.

Hé bien, Messieurs, Monsieur Poisson a raison.

CRISPIN.

Vous croyez, vous que toute la raison est dans votre tête. Mais depuis quand donc avons-nous des vouloirs ? Morbleu il y a vingt-cinq ans que je tiens mon coin avec les meilleurs Comédiens du Royaume : j’ai connu les Floridor, Montfleury, la Fleur, la Thorillière ; et cependant il me paraît tout nouveau d’entendre dire, je ne veux pas.

M. LE BARON.

Monsieur, je n’ai pas assurément le mérite de tous ces Messieurs que vous venez de nommer ; mais s’ils avaient été de ce temps-ci, avec aussi peu de mérite que j’en ai, ils auraient peut-être parlé comme je fais ; et de leur temps, avec autant de mérite qu’eux, j’aurais peut-être parlé comme ils ont fait.

CRISPIN.

Ne remarquez-vous pas du Phébus dans tout ce qu’il dit, depuis qu’il se mêle d’être Poète ?

M. LE BARON.

Et moi, je ne veux rien remarquer dans tout ce que vous dites, de peur de vous déplaire ; et brisons là, de grâce. Je l’ai dit, et le répète encore, afin que vous en soyez informé, que je n’exposerai point ainsi ma Pièce, puisque je suis allez malheureux de n’avoir pu résister à la tentation d’en faire une. Je ne l’exposerai point, vous dis-je, après les avis que j’ai reçus, que des personnes attirées seront ici pour la critiquer.

CRISPIN.

Hé morbleu ! qu’on la critique, pourvu qu’ils soient beaucoup qui la critiquent.

M. LE BARON.

Monsieur, toutes les manières de gagner de l’argent ne me sont pas égales.

M. DE LA TORILLIÈRE.

Monsieur, Monsieur Poisson, allez vous habiller ; ce n’est pas là l’habit que vous devez avoir.

CRISPIN.

Morbleu, c’est que j’enrage quand je vois le jeunes gens comme cela faire les Catons levant les barbons comme nous. On appelle cela justement, apprendre à son père à faire les enfants, et gros Jean qui remontre à ton Curé.

M. LE BARON.

Vive les sentences ! l’habit convient fort bien à celles-là.

M. DE LA TORILLIÈRE.

Allez-donc vite vous habiller. Vous êtes le plus vieux, montrez-vous le plus sage.

 

 

Scène IX

 

LE BARON, DE LA THUILLERIE, RAISIN, DE LA TORILLIÈRE et BEAUVAL

 

M. DE LA TORILLIÈRE.

Hé bien donc, mon enfant, que faut-il faire ?

M. LE BARON.

Ce qu’il faut faire, il faut cesser la Comédie sitôt que les siffleurs commenceront, ou quand nous remarquerons des gens attachés à nous interrompre : vous verrez ensuite, sans que nous prenions le soin de nous plaindre, que l’on aura celui de nous demander le sujet de cette résolution. Hé quoi ! nous avons eu le malheur de jouer allez souvent, devant le Roi, de mauvaises Pièces, et cependant, avec une bonté toute extraordinaire, il nous a écoutés jusqu’au bout. Qu’il serve au moins de modèle dans ces petites choses, puisqu’on ne peut l’imiter dans les grandes.

M. DE LA TORILLIÈRE.

Ce que vous dites est raisonnable, il y va trop de notre intérêt pour y manquer. Mais allez vite vous préparer, voilà déjà du monde qui vient.

M. LE BARON.

Messieurs, je ne pourrais jamais être prêt allez tôt. Je vous prie, Monsieur Raisin, de danser avec Monsieur de la Torillière ce que vous aviez préparé pour cette Pièce nouvelle que l’on n’a pas jouée, et de faire chanter à Mademoiselle... ce qu’elle y devait chanter : cela ne convient point au sujet de ma Pièce, mais ce sera seulement pour nous donner le temps de nous habiller.

M. RAISIN.

C’est assez, je ferai ce que vous voudrez ; mais vous savez bien que vous trouvâtes vous-même que nous ne dansions pas assez bien pour nous exposer à le faire, et que...

M. LE BARON.

Allez, allez, ces Meilleurs auront la bonté de vous excuser. La nécessité fait souvent trouver bon ce qui ne ferait que médiocre ; on ne regardera point ceci comme une affaire préméditée, et enfin il y a longtemps que l’on fait qu’il nous est défendu de savoir ni chanter ni danser.

M. RAISIN.

Chargez-vous donc du bon et du mauvais succès.

M. LE BARON.

Je m’en charge. Ah ! voilà justement un de ces Messieurs dont je parlais tout à l’heure ; nous allons entendre de belles choses.

 

 

Scène X

 

LE MARQUIS, MM. LE BARON, RAISIN, DE LA TORILLIÈRE et DE LA THUILLERIE

 

LE MARQUIS.

Bonjour, Monsieur Baron.

M. LE BARON.

Monsieur, je vous donne le bon soir.

LE MARQUIS.

Comment vous va ?

M. LE BARON.

Fort bien, Monsieur, pour vous servir.

À part.

La peste soit de l’homme.

LE MARQUIS.

Je viens d’un lieu où j’ai bien dit du bien de vous.

M. LE BARON.

Je vous suis fort obligé.

À part.

Que le diable l’emporte.

Aux Acteurs.

Ayez un peu soin...

LE MARQUIS.

Vous jouez une Pièce nouvelle aujourd’hui ?

M. LE BARON.

Oui, Monsieur... N’oubliez pas...

LE MARQUIS.

C’est vous qui l’avez faite ?

M. LE BARON.

Oui, Monsieur... De grâce songez...

LE MARQUIS.

Comment l’appelez-vous ?

M. LE BARON.

Oui, Monsieur.

LE MARQUIS.

Je vous demande comment vous la nommez.

M. LE BARON.

Ah, ma foi, je ne sais... Il faut, s’il vous plaît, que vous...

LE MARQUIS.

Quand commencerez-vous ?

M. LE BARON.

Quand le monde sera venu.

À part.

Au diantre soit le questionneur.

LE MARQUIS.

La Pièce que vous allez jouer est-elle sérieuse, ou comique ?

M. LE BARON.

Non, Monsieur... Je...

LE MARQUIS.

Sérieuse ?...

M. LE BARON.

Non, Monsieur.

 

LE MARQUIS.

Comique ?

M. LE BARON.

Non.

LE MARQUIS.

Comment donc ?

M. LE BARON.

Tenez, Monsieur, je suis le plus ignorant homme du monde ; je ne sais rien de tout ce que vous pouvez me demander, je vous jure. Mais voilà Monsieur Beauval qui vous dira le nom, le sujet, et tout ce que vous voudrez savoir.

À part.

J’enrage ; ce bourreau vient avec un air tranquille vous faire cent questions, sans s’informer si l’on a d’autres choses dans la tête.

Aux Acteurs.

Allons, Messieurs allons vite nous habiller.

LE MARQUIS.

Monsieur Beauval, avez-vous là du tabac ?

M. BEAUVAL.

Monsieur, j’en ai là le meilleur du monde.

LE MARQUIS.

Est-ce du gros ?

M. BEAUVAL.

Non, Monsieur, c’est de l’Espagnol.

LE MARQUIS.

Fi, il n’est pas bon.

M. BEAUVAL.

Monsieur, j’en suis fâché.

LE MARQUIS.

Mais la tabatière me paraît assez jolie.

M. BEAUVAL.

C’est une petite tabatière d’or.

LE MARQUIS.

Elle est bien gravée.

M. BEAUVAL.

Monsieur, vous répandez tout mon tabac.

LE MARQUIS.

Ah ! oui. Savez-vous bien que votre petit Monsieur Baron fait assez l’entendu ?

M. BEAUVAL.

Lui ?

LE MARQUIS.

Oui, oui, lui ; mais s’il avait oui dire ce que l’on disait de lui à la Cour, il rabattrait de sa fierté.

M. BEAUVAL.

Oserais-je vous demander ce que l’on en disait ?

LE MARQUIS.

Qu’il n’était bon que pour la Farce ; et si, c’était un des gros Seigneurs de la Cour qui le disait : mais effectivement ses manières ne me plaisent pas : il récite comme on parle dans une chambre.

M. BEAUVAL.

C’est de quoi, je vous assure, tout le monde le loue.

LE MARQUIS.

Ce sont des ignorants, Monsieur Beauval ; mais il y a encore une autre chose : il parle comme on fait aujourd’hui, et ne distingue point un Romain, un Turc, un Grec, ni un Chrétien ; il faut bien que les différents caractères...

M. BEAUVAL.

Mais, Monsieur, nous jouons toujours en Français.

LE MARQUIS.

J’en demeure d’accord, je le sais bien ; mais encore faut-il montrer, lorsque, par exemple, vous m’entendez, bien, Monsieur Beauval, vous avez de l’esprit ; il faut lorsque l’on représente un Grec ou un Romain, quoique l’on parle Français, il ne faut pas, dis-je, laisser que de montrer qu’il lui en est resté quelque accent.

M. BEAUVAL.

En vérité, Monsieur, cela est admirablement bien dit.

LE MARQUIS.

Mais voilà le fin, voilà le fin cela ; et cependant les sots partent légèrement sur ces sortes de choses, sans s’y arrêter.

M. BEAUVAL.

Je vous assure, Monsieur, que je n’ai jamais rien entendu de si beau. Monsieur, je vous donne le bonjour.

 

 

Scène XI

 

LE MARQUIS, M. BEAUVAL, PHILISTE, AMINTE, CLORIS

 

PHILISTE.

La Crosnier ? la Crosnier ?

LE MARQUIS.

Champagne ?

PHILISTE.

La Crosnier ?

LE MARQUIS.

Champagne ?

PHILISTE.

Monsieur, Monsieur Beauval ?

CHAMPAGNE.

Que me voulez-vous ?

M. BEAUVAL.

Que souhaitez-vous de moi, Monsieur ?

LE MARQUIS.

Apporte-moi une chaise.

PHILISTE.

Monsieur, je vous demande pardon ; mais voudriez-vous bien nous servir de votre crédit pour être bien placées ?

M. BEAUVAL.

Que souhaitez-vous ?

PHILISTE.

J’ai là quatre Dames, que je voudrais bien voir placées dans quelqu’un de ces balcons.

M. BEAUVAL.

Pour des places, il est impossible ; tout est retenu : mais si vous voulez une loge ?

PHILISTE.

Combien faut-il ?

M. BEAUVAL.

Quatre Louis.

PHILISTE.

Quatre Louis !

M. BEAUVAL.

Oui, Monsieur.

PHILISTE.

Mesdames, il n’y a point de places, tout est retenu ; nous reviendrons une autre fois.

AMINTE.

Hélas ! est-il possible ?

CLORIS.

Quoi ! nous ne verrions point... Monsieur Beauval, est-il vrai qu’il n’y a plus de places, que tout est retenu ?

M. BEAUVAL.

Madame, il est vrai qu’il n’y a plus de places ; mais il reste encore une Loge de quatre Louis.

PHILISTE.

Hé ! que ne parlez-vous ? est-ce l’argent ? Allons, Mesdames.

M. BEAUVAL.

La Crosnier, conduisez ces Dames.

LE MARQUIS.

Monsieur Beauval, qui sont ces Dames ?

M. BEAUVAL.

Monsieur, je ne les connais pas.

LE MARQUIS.

Mais à propos, dites-moi donc comment on nomme la Pièce que vous allez jouer ?

M. BEAUVAL.

Monsieur, on la nomme le Coquet trompé.

LE MARQUIS.

Le Coquet trompé ? J’ai quelqu’idée de cela. Une Pièce où il y a... j’en ai ouï parler, où il y a de beaux vers.

M. BEAUVAL.

Non, Monsieur, elle est en prose.

LE MARQUIS.

Hé oui, de la prose en vers, c’est ce que je voulais dire. Mais enfin, c’est Baron qui l’a faite ?

M. BEAUVAL.

Oui, Monsieur.

LE MARQUIS.

Justement. Vraiment, je suis ici bien à propos ; sans cela notre amie était prise pour dupe. Il y a bien de l’imprudence de son côté, elle devait au moins me faire avertir, car il pouvait fort bien arriver que je l’eusse trouvée belle, et je l’aurais louée comme un sot. Ah parbleu ! l’Auteur et les Acteurs n’ont qu’a se bien tenir ; vous allez voir beau jeu.

M. BEAUVAL.

Comment donc, Monsieur ?

LE MARQUIS.

Comment ! On avait prié ce petit vilain-là d’en faire une lecture chez cette personne dont je parle, qui est une femme de qualité : il l’avait promis, et ne l’a point fait : mais on lui apprendra...

M. BEAUVAL.

Hé, Monsieur, faut-il que pour si peu de chose... Monsieur, s’il ne vous reste nulle bonté pour lui, ayez de la considération pour toute notre Compagnie, je vous en conjure.

LE MARQUIS.

Mon pauvre Monsieur Beauval, j’ai toute l’estime...

M. BEAUVAL.

Je vous suis obligé.

LE MARQUIS.

J’ai toute la considération...

M. BEAUVAL.

Monsieur, je vous remercie.

LE MARQUIS.

Qu’on puisse avoir pour vous...

M. BEAUVAL.

Vous me faites trop d’honneur.

LE MARQUIS.

Et je vous le prouverai...

M. BEAUVAL.

Ah ! Monsieur, c’en est trop.

LE MARQUIS.

En toute autre occasion que celle-ci. Je suis fâché de ne pouvoir faire ce que vous souhaitez ; mais j’ai donné ma parole : car enfin, vous jugez bien que sans cela il me serait fort indifférent que l’on la trouvât bonne ou mauvaise. Premièrement moi, je ne viens point ici pour écouter, j’y viens seulement pour y trouver du monde. Écouter une Comédie ! cela n’est pas du bel air ; si, cela est bon au Parterre. Ah, ah ! Cléante, te voilà donc ici aujourd’hui ?

 

 

Scène XII

 

LE MARQUIS, CLÉANTE

 

CLÉANTE.

Vous voyez.

LE MARQUIS.

Quel parti prendrez-vous dans la Pièce qu’on va jouer ?

CLÉANTE.

Quel parti !

LE MARQUIS.

Oui, la trouverez-vous bonne ou mauvaise ?

CLÉANTE.

Parbleu, voilà une plaisante question !

LE MARQUIS.

Pas si plaisante que vous croyez.

CLÉANTE.

Mais je la trouverai belle, si elle est belle ; et mauvaise, si elle est mauvaise.

LE MARQUIS.

Voilà un grand sorcier, que de juger d’une Comédie quand on l’a vue ! Il ne faut pas être bien habile pour cela ; je ne connais personne qui n’en fît bien autant. Mais pour agir en habile homme, il faut faire comme moi, qui la trouve détestable, et morbleu du dernier détestable, sans en avoir vu la moindre chose.

CLÉANTE.

Je vous avoue que je n’ai pas vos lumières.

LE MARQUIS.

Cléante, sans nous amuser ici à la bagatelle, je te prie d’en faire autant que moi, de ne pardonner pas à la moindre chose ; bon ou mauvais, n’importe, il faut attaquer tout.

CLÉANTE.

Dieu me garde de suivre de pareils avis. Bien éloigné de les prendre, je vous jure que si j’avais à pencher de quelque côté, j’aimerais mieux louer ce qui ne serait que médiocre, que de blâmer ce qui serait bon.

LE MARQUIS.

Seigneur Aristote, toute votre Philosophie ne servira de rien. Et les Auteurs, à qui le siècle fait injustice, et qui ne manqueront point de se trouver ici ; ces Meilleurs, dis-je, et moi, nous serons tant de bruit, qu’on n’entendra ni tes applaudissements, ni toi, ni tes Acteurs.

CLÉANTE.

Je vous en empêcherai, car je me vais mettre tout seul au fond de quelque loge.

LE MARQUIS.

Tu n’y gagneras rien, nous te suivrons partout.

 

 

Scène XIII

 

LE MARQUIS, CLÉANTE, M. BEAUVAL

 

M. BEAUVAL.

Messieurs, asseyez-vous, s’il vous plaît.

LE MARQUIS.

Va-t-on commencer ?

M. BEAUVAL.

Monsieur, on va danser et ; chanter une petite Bergerie, en attendant que les Acteurs soient prêts.

CLÉANTE.

Adieu, Marquis.

LE MARQUIS.

Je te suis.

 

 

Scène XIV

 

PREMIER BERGER, SECOND BERGER, UNE BERGÈRE

 

PREMIER BERGER.

Choisissez parmi nous celui qui mérite le mieux vos faveurs ; mais, Bergère, ne nous faites point languir davantage.

SECOND BERGER.

Hé quoi ! ne trouvez-vous point de Berger parmi nous qui méritât le nom de votre Époux.

LA BERGÈRE.

Ne me tenez plus ce langage,

Je serai toujours avec vous ;

Mais si vous craignez mon courroux,

Ne parlez plus de mariage.

À mon âge rien n’est si doux

Que les plaisirs charmants,

De souffrir des Amants

Sans choisir un Époux.

PREMIER BERGER.

Quel plaisir prenez-vous à voir des malheureux ?

SECOND BERGER.

Ah Bergère ! la jeune Iris...

LA BERGÈRE.

La jeune Iris m’a rendue sage :

Les Bergers de ce Village

Ne lui parlaient que d’amour ;

Tous s’empressaient à lui faire la cour.

Elle a cessé d’être cruelle,

Elle a fait un choix,

On ne la trouve plus si belle,

Et ces Bergers qui vivaient sous ses lois,

L’abandonnent tous à la fois.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

UN VENDEUR D’EAU-DE-VIE, LA MONTAGNE, LA FLEUR, LA VERDURE, LE SUISSE, endormis

 

LE SUISSE.

Ah, ah, ah !

LE VENDEUR.

Eau-de-vie, vie. Noix confites, Eau-de-vie, vie.

LE SUISSE.

De l’eau-de-vie ! parbleu, je vais me réjouir le cœur.

LE VENDEUR.

Hé ! le voilà, le voilà le Traiteur, eau-de-vie, vie, Noix confites ; allons vite, allons vite.

LE SUISSE.

Hai, hai, Bran-de-vin ; hé, apporte-moi de l’eau-de-vie.

LE VENDEUR.

Qui est-là ? qui m’appelle ?

LE SUISSE.

Viens ici.

LE VENDEUR.

Est-ce à vous ?

LE SUISSE.

Hé, entre donc.

LE VENDEUR.

Vous m’avez pensé faire répandre toute ma marchandise.

LE SUISSE.

Je voudrais t’avoir rompu la tête. Il y a deux heures que je t’appelle.

LE VENDEUR.

Qu’y a-t-il pour votre service ?

LE SUISSE.

Donnez-moi...

LE VENDEUR.

Du Rossoly.

LE SUISSE.

Non, je veux...

LE VENDEUR.

Des Noix confites ?

LE SUISSE.

Non. Versez-moi...

LE VENDEUR.

De l’Hypothèque, du Bran-de-vin, de l’Eau-de-vie.

LE SUISSE.

Tiens, voilà pour toi ; moi, je ne veux point tant de questions.

LE VENDEUR.

Il n’entend non plus de raison qu’un Suisse.

LE SUISSE.

Tu fais le railleur : attends-moi.

LE VENDEUR.

Oh ! jarnis, n’y venez pas.

LE SUISSE.

Ah ! tu fais le méchant ? Tiens, tiens, garde-moi bien cela.

LE VENDEUR.

Au secours, je suis mort.

LA MONTAGNE, s’éveillant.

On y va : on y va. Me voilà, Monsieur, me voilà, me voilà. Mon flambeau... Ah bon ; ma canne, je la tiens. Porteurs, allons, allons, vite, voilà Monsieur. Où allumerai-je mon flambeau ? Ah voici de quoi... Ah... ah... Maître Michaut, ouvrez la porte.

Il s’endort.

LE SUISSE.

Bon, le voilà par terre.

LE VENDEUR.

Je n’en puis plus.

LA FLEUR.

La Verdure, hai...

LA VERDURE.

La Fleur, allons, debout, voilà Monsieur.

LA FLEUR.

Lève-toi donc, te dis-je.

LA MONTAGNE.

On y va.

LE VENDEUR.

Ah ! j’ai la tête cassée.

LE SUISSE.

Allons hé, apporte-moi de l’Eau-de-vie.

LA MONTAGNE.

De l’Eau-de-vie.

LA FLEUR.

De l’Eau-de-vie ! Parbleu j’en suis.

LA VERDURE.

De l’Eau-de-vie. Apporte, apporte, j’en boirai bien aussi.

LA MONTAGNE.

Ah Dieu vous garde ! Maître Michaut.

LE SUISSE.

Bonjour la Montagne.

LA FLEUR.

Serviteur Maître Michaut.

LE SUISSE.

Serviteur.

LA VERDURE.

Je salue Maître Michaut.

LE SUISSE.

Oh ! serviteur à tous.

LA VERDURE.

Joue-t-on encore là-haut ?

LE SUISSE.

Non, ils ont tous quitté à six heures du matin.

LA FLEUR.

Où sont nos Maîtres ?

LE SUISSE.

Le mien est allé à Versailles. Pour le vôtre je ne sais ce qu’il est devenu ; il est sorti fort chagrin.

LA VERDURE.

Sans doute qu’il avait perdu son argent.

LA MONTAGNE.

Que ne nous appeliez-vous ?

LE SUISSE.

Aussi ai-je fait ! mais, Diable-zot, point de nouvelles, vous dormiez ; et, par ma foi, je n’étais guère plus éveillé que vous.

LE VENDEUR.

Meilleurs, voulez-vous boire ou non ? Je ne gagne rien à demeurer ici.

LE SUISSE.

Allons, donne, mais surtout plus de questions. Buvez, Monsieur de la Montagne.

LA MONTAGNE.

Après vous.

LE SUISSE.

Je ne boirai pas le premier. La Verdure, tu es le plus près, commence.

LA VERDURE.

Tiens, La Fleur.

LA FLEUR.

Tu le tiens, c’est pour toi.

LE VENDEUR.

Ô Messieurs, prenez, en voilà pour trois.

LA MONTAGNE, en buvant.

Par ma foi, voici une étrange vie. Jouer la nuit, dormir le jour. Enfin...

LE VENDEUR.

Dépêchez-vous, je n’ai pas le loisir d’attendre.

LE SUISSE.

Que te faut-il ?

LA MONTAGNE.

Cela est fait.

LA FLEUR.

Je veux payer.

LA VERDURE.

Ce sera moi.

LE SUISSE.

Ce sera moi.

LA MONTAGNE.

Point du tout.

LA VERDURE.

Laissez-moi donc.

LA FLEUR.

Non, vous dis-je.

LA MONTAGNE.

Oh bien, pour nous accorder tous, jouons à la Moure à qui paiera.

LA FLEUR.

Cela est fait.

LA VERDURE.

Je le veux.

LA FLEUR.

Maître Michaut, commençons vous et moi.

LA MONTAGNE.

À nous deux, la Verdure.

LA VERDURE.

Çà, j’y suis.

 

LA MONTAGNE et LA VERDURE.

MAÎTRE MICHAUT et LA FLEUR.

Trei

Quatro

Cinque

Touti

Sei

Dou.

Nove

Touti

Otto

Sei

Quatro

Nove

Touti.

 

 

Scène II

 

M. DARCY, LE SUISSE, LA MONTAGNE, LA FLEUR, LA VERDURE, LE VENDEUR D’EAU-DE-VIE

 

M. DARCY, derrière le Théâtre.

Qu’est-ci que j’entends là-bas ?

LE SUISSE.

Paix, paix, j’entends notre Écuyer.

LA MONTAGNE et LA VERDURE.

MAÎTRE MICHAUT 

et LA FLEUR.

Parlons bas. Recommençons.

Cinque

Dou

Trei

Sette.

Jouons plus doucement, et nous aussi.

Quatro

Quatro

Dou

Dou

Dou.

LA MONTAGNE.

 

J’en ai deux.

Sette

Otto

Nove

Touti

Touti

Touti.

LA VERDURE.

Tu n’en as qu’un.

LA MONTAGNE.

J’en ai deux.

LA VERDURE.

Tu n’en as qu’un, te dis-je.

M. DARCY.

Messieurs les coquins, si je me levé, vous vous en repentirez.

LE SUISSE.

Mordy, Messieurs, prenez donc garde à ce que vous faites.

LA MONTAGNE.

Vous avez raison. C’est lui aussi qui me vient chicaner.

LA VERDURE.

J’avais raison.

LA MONTAGNE.

Point du tout.

LA VERDURE.

Viens, je le quitte, la tricherie en reviendra à son Maître.

LE SUISSE.

Surtout qu’on ne nous entende point.

LA MONTAGNE et LA VERDURE.

MAÎTRE MICHAUT et LA FLEUR.

Dou

Quatro

Nove

Cinque

Trei

Touti

Touti

Quatro

 

Sette

Otto

Nove

Nove

LE SUISSE.

Oh Monsieur de la Fleur, vous avez joué de l’épinette.

 

Quatro

Quatro

Quatro

Toutti

Cinque

Nove

Trei

Trei

Quatro

Quatro.

LA FLEUR.

Cela n’est point.

LE SUISSE.

Jugez-nous.

LA FLEUR.

Je n’ai que faire de Juge.

LE SUISSE.

Je ne paierai point.

LA FLEUR.

Ni moi non plus.

LE SUISSE.

 

Ni moi.

M. DARCY.

Un, dou, trei, quatro.

Les frappant.

LA MONTAGNE.

Monsieur.

M. DARCY.

Coquin.

LA FLEUR.

Ah ! je suis mort.

M. DARCY.

Maraud.

LE SUISSE.

Monsieur, je suis de la maison.

M. DARCY.

Je t’en donnerai davantage.

LE VENDEUR D’EAU-DE-VIE.

Monsieur, je n’en suis pas.

M. DARCY.

Tant pis pour toi.

LA MONTAGNE.

Maître Michaut, ouvrez la porte.

LE SUISSE.

Je ne saurais trouver le trou.

LA FLEUR.

Dépêchez-vous.

LE SUISSE.

J’enrage.

LA VERDURE.

Maître Michaut, ne perdons pas le jugement.

LE SUISSE.

Sauvons-nous.

M. DARCY.

Ah Messieurs les coquins, je vous apprendrai à faire du bruit. Mais qu’est ceci, j’entends quelqu’un descendre : Serait-ce Madame ? Elle doit aller à la Campagne aujourd’hui, je vais voir si les chevaux sont au carrosse.

 

 

Scène III

 

LA MARQUISE, LA COMTESSE, UN LAQUAIS, LA DU LAURIER

 

LA COMTESSE.

Pourquoi descendez-vous, belle Marquise.

LA MARQUISE.

Pour être avec vous plus longtemps, Comtesse.

LA COMTESSE.

Ah mon Dieu ! qu’on serait contente, si vous trouviez avec les autres le même plaisir que l’on prend avec vous ; et qu’il serait charmant, qu’après avoir été quatorze heures de suite avec vous, vous souhaitassiez que l’on y demeurât davantage.

LA MARQUISE.

Croyez-moi, je voudrais toujours être avec vous.

LA COMTESSE.

Vous m’allez donner une vanité insupportable.

LA MARQUISE.

Prenez-la donc ; mais dites-moi, pourquoi je vous prie, mes empressements vous étonnent-ils si fort ?

LA COMTESSE.

Vous vous trompez, Marquise, ils ne m’étonnent point. Je suis seulement surprise de les voir durer si longtemps.

LA MARQUISE.

Vous ai-je donné en ma vie quelques marques...

LA COMTESSE.

Mon dieu, l’on fait assez qu’en tout la nouveauté ne vous déplaît pas.

LA MARQUISE.

En vérité, vous mériteriez que je vous fisse dire vrai.

LA COMTESSE.

Adieu, ma chère Marquise ; il est temps de se retirer : il n’est que quatre heures, Madame, cela ne vaut pas la peine d’en parler ; mais vraiment c’est se moquer, il est presque jour, et de plus, je ne vois point mes gens, mon équipage n’est point ici.

DU LAURIER.

Hé ! ne vous souvenez-vous point, Madame, que vous fîtes dire hier à votre Cocher qu’il ne revînt point ; que vous coucheriez ici, afin d’aller aujourd’hui plus matin à la campagne ; hé bien, par ma foi, vous aviez raison. Vous n’avez pas été longtemps à vous habiller, vous serez bientôt prête, vous n’avez qu’à partir.

LA MARQUISE.

En vérité, Madame, je l’avais oublié.

LA COMTESSE.

J’ai fait la même chose aussi.

DU LAURIER.

Les bonnes têtes que voilà ! une bonne vie ! Par ma foi, Madame, c’est se moquer, de mettre comme cela tout le monde sur les dents. Trois nuits sans se coucher, cela n’est-il pas beau ? Si vous saviez aussi les belles choses que cela fait dire de vous ; si vous entendiez...

LA COMTESSE.

Du Laurier est en colère.

DU LAURIER.

Hé ! qui n’y serait pas, Madame ? Il y a trois jours que je ne me déshabille point.

LE LAQUAIS, à la Marquise.

Madame, fera-t-on avancer le carrosse ?

LA MARQUISE.

Non, qu’on ôte les chevaux, je ne sortirai point. Mais, du Laurier, je t’en conjure, dis-moi un peu ce que l’on dit de nous.

DU LAURIER.

Écoutez, il ne faudrait pas trop m’en presser.

LA COMTESSE.

Hé je t’en prie ?

DU LAURIER.

Oh vraiment, je sais que les Dames de votre caractère se mettent fort peu en peine de la manière dont on parle d’elles, que ce soit en bien ou en mal ; pourvu que l’on en parle, cela suffit. Les hommes aujourd’hui gardent bien plus de mesures, ils tâchent de sauver les apparences, au moins : mais vous autres, vos plaisirs ne seraient point parfaits, si tout le monde n’en était instruit, et si vous n’y faisiez penser quatre fois plus de mal qu’il n’y en a. Hé ! mort de ma vie, que ne jouez-vous le jour, et que ne dormez-vous la nuit ? Vous faites tout le contraire ; hé ! croyez-vous que vos domestiques (j’entends ceux qui sont affectionné comme moi,) croyez-vous, dis-je, qu’il leur soit agréable d’entendre le lendemain blâmer votre conduite, par ceux qui ne mènent point un train de vie pareil au votre, et qui ne conçoivent point qu’il y ait une espèce de gens dans Paris, à qui le Soleil fasse peur ? Croyez-vous enfin qu’ils pensent que c’est pour prier Dieu que vous passez chez vous les nuits avec des hommes ? Qu’il soit honnête de les voir entrer et sortir à toute heure ? Ces gens ne disent point que ces Messieurs n’y viennent que pour jouer au Lansquenet ? mais ils disent que vous ne jouez le Lansquenet, que pour y faire venir ces Messieurs : Et enfin, Madame, je vous l’ai déjà dit, vos domestiques n’y peuvent plus résister, la plus grande partie veut quitter. Encore dans le temps qu’on leur laissait le profit des Cartes, passe : il est vrai que l’on fournissait la bougie, le foin, l’avoine et la paille ; mais baste, on ne laissait pas que de s’y sauver encore. Mais je ne sais quel mauvais exemple vous suivez aujourd’hui, et tout-à-fait indigne d’une personne de qualité comme vous ; vous ne nous en laissez, Dieu merci, pas la moindre...

LA MARQUISE.

Ah du Laurier ! voici donc l’encloueure. Si tu ne nous avais point parlé des Cartes, ta morale aurait pu faire quelqu’effet ; mais à présent...

DU LAURIER.

Oui, oui, raillez, croyez-vous que vous en ferez mieux ? Il faudra bien tâcher de s’en revancher d’ailleurs.

LA COMTESSE.

Mais, Madame, au lieu de nous amuser ici, ne ferions-nous pas mieux de nous aller coucher ?

LA MARQUISE.

Hé, Madame, ne rentrons pas encore, je vous prie. Après avoir eu le nez sur des Cartes ; après avoir demeuré si longtemps sur une chaise, je trouve un plaisir sensible à prendre l’air que je respire ici.

LA COMTESSE.

Restons-y tant qu’il vous plaira, je le veux bien.

DU LAURIER.

Et moi aussi ; mais trouvez bon, moi, que j’aille respirer sur une chaise, où je ne serais pas longtemps sans dormir ; vous me réveillerez, quand vous aurez besoin de moi.

LA MARQUISE.

Je le veux bien, mais faites éveiller Dumont, et lui dites qu’il me vienne parler tout à l’heure.

 

 

Scène IV

 

LA COMTESSE, LA MARQUISE

 

LA COMTESSE.

En vérité, Marquise, confessez de bonne foi que du Laurier n’a pas tout-à-fait tort ; que les exemples de plusieurs de nos bonnes amies ne nous justifient point, et qu’enfin, un peut d’ordre dans la vie, pourrait n’en pas diminuer les plaisirs.

LA MARQUISE.

Ma chère Comtesse, que vous me parler bien en femme qui voudrait encore vivre sous les lois d’un Époux ! Je ne suivrai pas votre exemple si je le puis, et ce doit être assez d’avoir été mariée une fois, pour ne vouloir plus l’être.

LA COMTESSE.

Je ne vous cèle point que si certaines choses arrivaient...

LA MARQUISE.

Je vous entends, c’est-à-dire que vous épouseriez Dorante si votre oncle mourait.

LA COMTESSE.

Mais croyez-vous qu’il soit permis de faire semblables jugements ?

LA MARQUISE.

Ne laissez donc point penser ce que vous ne voulez pas qu’on vous dise.

LA COMTESSE.

Je serais au désespoir que Dorante eût d’aussi bons yeux que vous.

LA MARQUISE.

Les personnes intéressées sont pourtant d’ordinaire plus pénétrantes que les autres dans ce qui les regarde. Hé croyez-moi, la première fois que je m’aperçus que Dorante ne vous était pas indifférent, il devait déjà savoir que vous l’aimiez.

LA COMTESSE.

Là-dessus vous croirez tout ce qu’il vous plaira. Ces choses sont si éloignées ; le peu de bien qu’il a, l’entêtement de mon oncle pour les grandes alliances, sont des obstacles si puissants...

LA MARQUISE.

La tendresse vient à bout de tout.

LA COMTESSE.

Si la tendresse est si puissante, comment vous trouverez-vous assez forte pour y résister, jusques à jurer que vous ne vous remarierez jamais ?

LA MARQUISE.

Voulez-vous que je vous le dise en un mot ? C’est que le seul homme du monde qui m’aurait pu tourner la cervelle là-dessus, se trouve pour le moins aussi coquet que je suis coquette. Je ne m’accommode point du tout de cela, et je veux l’être seule.

LA COMTESSE.

Cet heureux Mortel qui vous plaît plus qu’un autre, c’est Éraste sans doute ?

LA MARQUISE.

Je ne ferai pas comme vous, et je vous avouerai de bonne foi que c’est lui-même.

LA COMTESSE.

Mais sur quoi fondez-vous le jugement que vous faites d’Éraste ?

LA MARQUISE.

Je ne suis, croyez-moi, que trop bien informée. Je lui ai défendu de voir Dorimène, il la voit tous les jours, ou du moins je le crois ; car je ne puis plus m’assurer sur mes Grisons, il les a tous mis en défaut. Il est dans une perpétuelle défiance qu’on ne le suive ; et pour empêcher qu’il ne soit suivi, il entre tantôt dans une maison qui a deux issues ; il laisse sa chaise à la porte par où il entre d’abord ; il sort par une autre, d’où il va ensuite où il lui plaît. Lorsqu’il revient, il reprend ses Porteurs à la première porte, et mes Grisons sont pris pour dupes.

 

 

Scène V

 

LA MARQUISE, LA COMTESSE, DUMONT

 

DUMONT.

Qu’est-ce donc qu’il y a de si pressé, Madame ? Tenez, Madame, voyez-vous, si vous ne me laissez dormir tout mon saoul, je quitterai le métier.

LA MARQUISE.

Tu iras te recoucher dans un moment.

DUMONT.

Mais, me répondrez-vous que je dormirai aussi-bien que je faisais tout à l’heure ?

LA MARQUISE.

Non, mais je te réponds d’un bon soufflet, si tu ne m’écoutes : As-tu trouvé un homme inconnu, pour cette lettre dont je t’ai parlé ?

DUMONT.

Oui.

LA MARQUISE.

L’a-t-il rendue ?

DUMONT.

Oui.

LA MARQUISE.

À elle-même ?

DUMONT.

Oui.

LA MARQUISE.

Qu’a-t-elle dit ?

DUMONT.

Oui.

LA MARQUISE.

Qu’a-t-elle répondu ? tu dors.

DUMONT.

Elle a répondu que vous me laissiez aller dormir, s’il vous plaît.

LA MARQUISE.

Coquin.

LA COMTESSE.

Laissez-le en repos, Madame ; en l’état où il est, vous n’en tireriez pas une parole de bon sens. Va te coucher, Dumont.

DUMONT.

Je vais donc rachever mon longe.

 

 

Scène VI

 

LA MARQUISE, LA COMTESSE

 

LA COMTESSE.

C’est quelque piège, sans doute, que vous voulez tendre a ce pauvre Éraste.

LA MARQUISE.

Vous l’avez deviné, et d’une nature...

LA COMTESSE.

Vous en savez beaucoup.

LA MARQUISE.

Rien n’est plus difficile à tromper qu’une coquette. Hé, croyez-moi, aujourd’hui je le convaincrai d’une manière qu’il ne pourra pas s’en défendre.

LA COMTESSE.

Et comment ferez-vous ?

LA MARQUISE.

Dorimène a reçu une lettre aujourd’hui d’une personne inconnue, et cette personne inconnue, c’est moi. Je lui écris que pour s’assurer Éraste entièrement, si elle croit qu’il air quelque tendresse pour moi, il est aise de lui faire voir mon attachement pour un autre que lui ; que j’ai des rendez-vous tous les jours, où, si l’on veut, il sera aisé de me surprendre.

LA COMTESSE.

Je ne vois pas bien quelle est la fin de cette entreprise.

LA MARQUISE.

Le dénouement vous éclaircira du reste.

LA COMTESSE.

Mais que voulez-vous faire du Vicomte, qui vous aime à la folie, et qui vient chez vous tous les jours ?

LA MARQUISE.

M’en divertir comme j’ai fait jusqu’ici, c’est le seul bon parti qui me reste, dans la nécessité où je me trouve de le souffrir continuellement. La liberté, que la perte de mon mari m’a fait recouvrer, ne m’a pas mise plus que vous à l’abri des persécutions de ma famille. On me laisse volontiers disposer des petites choses ; mais pour le mariage, si je ne passe sur les bienséances que j’ai gardées jusqu’ici, il faudra que je l’épouse : ce sont leurs sentiments. Mais si je ne puis venir à bout de les en faire changer, j’espère que le Vicomte changera : il me paraît déjà bien rebuté de mes manières.

LA COMTESSE.

Il est vrai que vous le traitez d’une sorte qui me fait appréhender, que dans ce siècle, eu la politesse pour les Dames n’est pas dans son éclat, il ne vous faite quelque brusquerie, lui qui, parmi les brutaux, est le plus brutal homme que j’aie jamais vu.

LA MARQUISE.

Il est vrai que c’est un homme d’un caractère incomparable. Il tire des avantages de tout. Il s’était d’abord mis en tête que je l’aimais, parce que je ne l’avais point chassé de chez moi, et commencent déjà à étendre son empire, jusqu’a m’imposer de ne voir plus de certaines gens que j’aime sans comparaison mieux que lui : mais sa jalousie pour mon Maître à danser...

LA COMTESSE.

Ma foi, Marquise, pour le Maître à danser, si j’étais votre Amant, et heureux, je ne le souffrirais pas longtemps...

LA MARQUISE.

Ma foi, il vaut mieux que tous tant qu’ils sont. Il est bien fait, il fait vivre, et je vous jure qu’il a beaucoup d’esprit. Dernièrement, en présence du Vicomte, en me montrant la manière dont il fallait tenir mes bras, il me mit une lettre dans les mains, et cette lettre s’est trouvée, s’il vous plaît, une déclaration d’amour dans les formes. Je m’en doutai d’abord ; mais n’en étant pas assurée, je ne pus point lui dire là-dessus ce qu’il était bon de lui dire. D’ailleurs, le Vicomte qui était là, n’eût pas peut-être pris la chose d’un bon biais, et je crus que pour le coup il fallait mieux me taire.

LA COMTESSE.

Franchement, quand il n’y aurait pas été, la curiosité eût tenu la place du Vicomte ; mais dites-moi, trouvez-vous que notre conversation n’ait pas été assez longue, et ne croit-il point temps de nous aller jeter sur un lit ?

LA MARQUISE.

Voulez-vous que je fasse mettre les chevaux au carrosse, et que nous allions courir par Paris : nous ferons relever Dorante, et puis nous nous moquerons de lui.

LA COMTESSE.

Non en vente, Madame, je veux aller dormir, je n’en puis plus.

LA MARQUISE.

Quoi ! se coucher si tôt ?

LA COMTESSE.

Il est vrai que cela crie vengeance. Allons, Madame, je vous prie.

LA MARQUISE.

Allons donc, Laquais, des flambeaux, éclairez.

 

 

Scène VII

 

DORANTE, ÉRASTE, LA COMTESSE, LA MARQUISE

 

LA MARQUISE.

Mais que vois je ? Éraste ?

LA COMTESSE.

Dorante ?

DORANTE.

En vérité, Mesdames, voici une exactitude qu’on ne peut assez admirer. Des Dames ne se point faire attendre !

LA MARQUISE.

Ah, ah, ah, ah !

ÉRASTE.

Que veut donc dire ceci, Madame, pourquoi riez-vous ?

LA MARQUISE.

Comtesse ? Ah, ah, ah, ah !

DORANTE.

Madame, n’aurai-je point une meilleure réponse ?

LA COMTESSE.

Dorante, nous allons nous coucher. Nous avons passé la nuit à jouer, et nous ne sommes point en état de partir. Adieu, venez donc, Marquise.

ÉRASTE.

Hé bien, Dorante, n’avais-je pas raison quand je vous ai dit qu’elles n’iraient point à la campagne ?

LA MARQUISE.

Quand avez-vous parlé si juste, Éraste ?

ÉRASTE.

Tout à l’heure Madame. Dorante a passé chez moi pour me prendre.

LA MARQUISE.

Vous l’attendiez tranquillement.

ÉRASTE.

Madame ?

LA COMTESSE.

Hé Madame, que cherchez-vous ?

LA MARQUISE.

Je n’aurais rien cherché, Madame, si Éraste le premier était allé prendre Dorante.

DORANTE.

Mais ! quoi toujours...

ÉRASTE.

En vérité, Madame, c’est un peu vite.

LA MARQUISE.

Adieu, Dorante.

LA COMTESSE.

Adieu.

 

 

Scène VIII

 

ÉRASTE, DORANTE

 

ÉRASTE.

Que puis-je donc penser de ce que je vois ?

DORANTE.

Que vous ménagez fort mal l’esprit de la Marquise.

ÉRASTE.

Que toutes ces formalités commencent à me lasser ! En vérité je ne voudrais point de fortune à ce prix, tout gueux que je suis : je préfère ma liberté au chagrin d’essuyer de semblables caprices, et peut-être en pourrais-je trouver quelqu’une qui ne serait pas si difficile, si je n’aimais aussi ardemment que je fais.

DORANTE.

Mon cher Éraste, cette confiance t’abusera, c’est sur elle que ta négligence se fonde, tu te rends avare de tes soins ; tu n’étudies point assez les personnes à qui tu veux plaire, et tout cela ne vient que pour vouloir entretenir trop d’affaires a la fois. Je suis votre ami dès longtemps, et je sais assez tout ce que vous faites, pour pouvoir vous parler comme je fais. La Marquise est adroite, elle vous aime, elle est jalouse, et ne sera pas longtemps sans découvrir votre commerce avec Dorimène.

ÉRASTE.

N’étant su que de vous, Dorante, je suis bien sûr, qu’avec les soins que j’y prendrai, la Marquise ne soupçonnera rien. Enfin, je ne puis pas faire autrement. Je ne suis pas riche, je veux rétablir mes affaires, et malgré mon amour, je ne le puis qu’en me mariant.

DORANTE.

Et voulez-vous à la fois épouser la Marquise et Dorimène ?

ÉRASTE.

Non, mais je veux ménager Dorimène, en cas que la Marquise me refuse.

DORANTE.

Vous vous y tromperez. Mais fi, retirons-nous, je vois ce fou de Vicomte.

 

 

Scène IX

 

LE VICOMTE, M. DARCY, LA VIOLETTE

 

LE VICOMTE.

Ah ! qu’est-ce ceci donc ? déjà partis ? Monsieur Darcy ? holà, Monsieur Darcy, Monsieur Darcy ?

M. DARCY.

Monsieur ?

LE VICOMTE.

Hai la Violette, la Violette ?

LA VIOLETTE.

Monsieur ?

LE VICOMTE.

Hé bien, Monsieur Darcy, on va donc à la campagne sans moi ?

M. DARCY.

Monsieur...

LE VICOMTE.

Comment vous portez-vous ? on ne songe guères à moi ici. Mettez-la votre main. Mais je leur apprendrai... Qu’a-t-on fait cette nuit ? a-t-on joué ? qu’il faut traiter les gens. Qui est venu ici ? autrement qu’on ne fait. Vous avez là une belle Perruque. Je suis las d’en souffrir. Quelle heure est-il ? on me pousse un peu trop. Que dites-vous ? hen ? plaît-il ? ne perdons point de temps. N’a-t-on point envoyé chez moi ? Il faut que je les cherche. On n’avais garde de me mettre de la partie... que je les trouve. Le Maître à danser en est, en quelqu’endroit qu’ils soient, je les découvrirai.

M. DARCY.

Monsieur, ils ont passé la nuit.

LE VICOMTE.

La Violette, hai la Violette, morbleu, va seller un cheval. Monsieur Darcy, j’enrage, faites-moi un plaisir, à moi. Va voir s’il n’y à point de lettres à la Poste. Testebleu, que vous disais-je tout à l’heure ? hai, mon Tailleur m’a-t-il apporté un habit ? Me traiter de la sorte ! Hem, que dites-vous de ceci. Ils verront ce que c’est. As-tu ma tabatière ? que se jouer. Ai-je un Laquais là ?

M. DARCY.

Malepeste du fou !

LE VICOMTE.

Tu ne me réponds pas.

LA VIOLETTE.

Votre tabatière est à la porte, votre Laquais est... que diable.

LE VICOMTE.

Va seller mon cheval.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

DU LAURIER, UN LAQUAIS

 

DU LAURIER.

Picard, dites-bien au Portier que Madame n’y est point, pour qui que ce soit.

LE LAQUAIS.

C’est assez.

DU LAURIER.

Allez ensuite voir si son bouillon est prêt.

LE LAQUAIS.

Comment donc, est-ce qu’on ne dînera pas bientôt ?

DU LAURIER.

Va-t’en, raisonneur, et fais vite ce que l’on te dit.

LE LAQUAIS.

J’aurais pourtant bien plus d’envie de manger que de raisonner.

 

 

Scène II

 

ÉRASTE, DU LAURIER

 

DU LAURIER.

Hé comment donc, vous voilà ici ?

ÉRASTE.

Oui, m’y voilà assurément. Où est Madame ?

DU LAURIER.

Elle vient de sortir tout à l’heure.

ÉRASTE.

Je viens de voir son carrosse dans l’autre cour.

DU LAURIER.

Elle est sortie en chaise, à cause d’un mal de tête qu’elle croyait avoir.

ÉRASTE.

Assurément ?

DU LAURIER.

Assurément. Mais à propos, elle est fort fâchée contre vous.

ÉRASTE.

J’ai peut-être plus lieu d’être fâché contre elle. Mais laissons-là mes sujets de chagrin, et m’apprends ceux que je lui ai donnés.

DU LAURIER.

Oh vraiment oui ! hé le moyen que je vous le dise ? Ma foi, tout cela est trop savant pour moi. Que vous dirai-je ? Vous vous êtes levé le dernier, vous n’avez pas été chez Dorante le premier : enfin, que diantre fais-je ? j’étais si endormie, que je ne comprenais rien à toutes ces délicatesses ; pour les entendre comme elle, il faut être bien éveillé, au moins.

ÉRASTE.

Du Laurier, elle impose des lois qu’elle n’observe pas.

DU LAURIER.

Écoutez, je ne cherche pas trop à la défendre ; et comme nous autres malheureuses nous ne trouvons à nous venger de leurs mauvaises humeurs, qu’en disant tout bas d’elles ce quelles disent tout haut de nous, croyez que je ne manquerais pas une si belle occasion de déchirer sa réputation, si je trouvais par où le faire : mais ma foi la chose ferait trop difficile. Que peut-on dire d’elle ? Qu’elle se levé quand les autres se couchent, et par conséquent quelle dîne lorsque les autres soupent ; qu’elle n’a pas la plus grande régularité du monde à payer ses gens, ni les autres ; qu’elle n’aime personne ; qu’elle est ravie que tout le monde l’aime ; qu’elle ne peut souffrir que l’on loue quelqu’un devant elle ; qu’elle est coquette, injuste, railleuse, avare, médisante. Mais enfin, vous voyez que de semblables bagatelles n’autorisent point un Amant aujourd’hui à rompre avec sa Maîtresse, ou bien il faudrait que les Meilleurs cherchassent un autre climat, où les Dames fussent autrement qu’elles ne sont ici.

ÉRASTE.

Je te ferai voir, avant qu’il soit vingt quatre heures, que ta Maîtresse a des qualités que tu ne lui connais pas encore ; qu’elle sait donner des rendez-vous, et qu’aujourd’hui à cinq heures elle se doit rendre aux Tuilleries, dans l’allée des Soupirs. Je te prie, ne parle point de ce que je te dis ; je t’en ai fait connaître plus que je ne voulais : tu m’ôterais le plaisir de la convaincre, et tu te priverais de celui d’être persuadée de tout ce que tu viens d’entendre.

DU LAURIER.

Oh, Monsieur, ne craignez rien, je sais ce qu’il faut taire ; et si tout le monde n’était assez instruit de tout ce que je vous ai dit de ma Maîtresse, je serais encore à en ouvrir la bouche.

ÉRASTE.

Adieu.

DU LAURIER.

Monsieur, je suis votre servante.

 

 

Scène III

 

DU LAURIER, seule

 

C’est un terrible noviciat pour un jeune homme, que d’aimer ma Maîtresse. Il faudrait qu’il en fut beaucoup, s’il n’apprenais rien avec elle. Pour moi, il m’est impossible de concevoir comment elle peut faire tant de choses à la fois, et comment tant d’ordre peut s’accorder avec tant de désordre. Le temps qu’elle a été sans dormir, ne l’a pas empêché ce matin d’envoyer un Grison après Éraste, pour voir ce qu’il deviendrait. Elle m’a demandé déjà plus de quatre fois, depuis un quart d’heure qu’elle est levée, s’il n’était point revenu. Mais le voici tout-à-propos.

 

 

Scène IV

 

DUMONT, DU LAURIER

 

DU LAURIER.

Hé bien, Dumont, quelle nouvelle ?

DUMONT.

Ah ma foi, pour le coup, Éraste est pris pour dupe : je sais tout ce qu’il a fait aujourd’hui ; il croyait m’attraper comme à son ordinaire, lorsque laissant ses Porteurs à une porte, et sortant par une autre... Mais je vais en instruire Madame ; il est juste qu’elle sache tout ceci avant toi.

DU LAURIER.

Demeure, je la vois qui descend.

 

 

Scène V

 

LA MARQUISE, DUMONT, DU LAURIER

 

LA MARQUISE.

Dumont ; qu’est-ce ? n’as-tu point mieux fait que les autres fois ? Auras-tu pris, comme tu dis toujours, bien des peines en vain, et n’auras-tu rien à me dire de plus positif ?

DUMONT.

Oh pour le coup, Madame, je crois que vous serez contente de moi ; et par ma foi j’ai aujourd’hui été plus fin qu’Éraste : à sept heures du matin à sa porte, pour ne le point manquer ; à neuf heures j’en ai vu sortir son Laquais, et je me suis avisé de le suivre au lieu du Maître, ce qui m’a assez bien réussi. Il est venu prendre des Porteurs sur la place, à qui il a dit d’aller trouver Ton Maître à son logis. Il ne les a point suivis, ni moi non plus. Il a été ensuite dans une autre place, arrêter d’autres Porteurs, qu’il a suivis, et moi aussi. Nous avons tous attendu, de compagnie, qu’Éraste, qu’ils attendaient, les soit venu prendre. Il est arrivé par une de ces maisons qui ont deux issues ; il a apparemment laissé les premiers Porteurs à la première porte, et s’est mis en chemin avec ceux-ci. Nous étions pour lors au Faubourg Saint Germain, d’où nous avons enfilé le Pont-Neuf ; de-là à la Croix du Trahoir, ou nous avons eu beaucoup de peine à passer, à cause d’un de mes amis, à qui on faisait faire pénitence pour de petits larcins, à quoi il se divertissait la nuit ; ensuite nous avons gagné par la rue des Prouvaires, puis par ces petites rues qui sont vers l’Hôtel de Bourgogne : Attendez, je ne me souviens plus du chemin que nous avons tenu. Revenons au Pont-Neuf, je vous mènerai par un chemin bien plus court.

LA MARQUISE.

Ah ! finis, je t’en prie, je n’ai que faire du chemin : sais-tu seulement le quartier, la rue, le nom de la personne chez qui il a été.

DUMONT.

Hé ! que diantre ne parlez-vous ? C’est-là justement ce que j’ai le mieux retenu, le quartier... Pour le quartier, n’importe ; mais la rue, c est... Ouais, où diable est donc ma mémoire ? Je voudrais bien aussi avoir oublié le nom de la personne : oh ! pour celui-là, je le tiens. C’est... attendez, Madame, je reconnaîtrai bien le visage du Crocheteur qui me l’a dit, si je le rencontre.

LA MARQUISE.

Ôte-toi d’ici, maraud, tu ne seras jamais bon à rien.

DU LAURIER.

Mais Éraste, Madame, vient de sortir d’ici.

LA MARQUISE.

Hé ! que vous a-t-il dit ?

DU LAURIER.

Qu’il avait bien plus de sujet d’être fâché contre vous, que vous n’aviez de l’être contre lui ; car je lui ai dit que vous étiez fort en colère. Il venait pour voir si vous étiez au logis, plus que pour vous voir, à ce qu’il m’a paru.

LA MARQUISE.

Ne t’a-t-il rien dit davantage ?

DU LAURIER.

Pardonnez-moi, mais je me suis engagée de n’en point parler.

LA MARQUISE.

Je voudrais bien voir, en vérité, que vous me célassiez quelque chose, à moi. Oh ! je vous prie, moi, de ne pas tarder davantage à m’en instruire.

DU LAURIER.

Mais, Madame, s’il vient à savoir que je vous ai découvert ce qu’il m’avait prié de vous taire, il ne manquera pas, pour se venger de vous, (car les hommes sont si méchants !) il ne manquera pas, dis-je, d’inventer mille faussetés. Que fais-je, s’il vous allait dire que j’ai mal parlé de vous ?

LA MARQUISE.

Je ne le croirai point ; mais dépêchez-vous de m’apprendre ce que je veux savoir.

DU LAURIER.

Mais, Madame, il ne m’a pas bien expliqué la chose, il m’a seulement parlé d’un rendez-vous des Tuileries, de l’allée des Soupirs.

LA MARQUISE.

En voilà plus que je n’en voulais savoir. Là, du Laurier, ne perdons point de temps : prenez un de mes habits, chauffez-vous le plus haut que vous pourrez ; vous êtes presqu’aussi grande et aussi menue que moi : prenez une écharpe, un loup.

DU LAURIER.

Pourquoi donc tout cela, Madame ?

LA MARQUISE.

Vous le saurez.

À Dumont.

Approche ici, misérable, je te défie de rien gâter ; car tu n’auras qu’à te taire. Va-t-en au plus vite à la Fripperie : cherche-moi un juste-au-corps doré, une perruque, des gants ; enfin, mets-toi le plus proprement que tu pourras.

DUMONT.

Madame, je n’ai que sa.re d’aller à la Fripperie pour cela ; j’ai un Valet de chambre, de mes amis, qui me donnera toute mon affaire.

LA MARQUISE.

Ces habits te seront-ils propres ?

DUMONT.

Ce seront les habits de son Maître qu’il me donnera ; nous sommes tous deux à-peu-près de même taille, c’est l’homme du monde le mieux fait.

LA MARQUISE.

Va donc, et ne t’amuse point.

DUMONT.

Je suis ici dans un moment.

 

 

Scène VI

 

LA MARQUISE, DU LAURIER

 

LA MARQUISE.

Du Laurier, il n’y a point de temps à perdre : dépêchez-vous de faire ce que je vous ai dit.

DU LAURIER.

Je serai prête en un moment.

LA MARQUISE.

Vous ne sauriez l’être trop promptement.

 

 

Scène VII

 

LA COMTESSE, LA MARQUISE

 

LA COMTESSE.

Je ne vous croyais pas seule ici, Madame : Je m’étais amusée à écrire là-haut quelques lettres, que j’aurais bien remises à une autre fois.

LA MARQUISE.

Et moi, Madame, j’aurais été vous retrouver, si l’on ne m’eût dit que vous étiez empêchée : mais finirions ces compliments, je vous prie, et longeons un peu à ce que... À quoi passerons-nous cette après dînée ? Que voulez-vous que nous devenions, Madame ?

LA COMTESSE.

Qui ? moi, Madame ? Ne savez-vous pas que je suis toujours d’accord de tout ?

LA MARQUISE.

Tant pis, car vous ôtez continuellement le plaisir que l’on aurait à vous marquer quelque complaisance ; et je crois qu’à tout cela il y a plus d’orgueil que de mérite. Vous voulez que l’on vous doive tout, et vous ne voulez rien devoir aux autres.

LA COMTESSE.

Oh ! vraiment, vous me croyez bien plus habile que je ne suis.

LA MARQUISE.

Pour montrer que ce n’est pas tout-à-fait comme je le dis, prononcez donc aujourd’hui à quoi nous passerons l’après dînée.

LA COMTESSE.

Voulez-vous que nous fassions quelques visites ? Allons voir cette bonne Madame Argante, qui vient ici jouer tous les jours.

LA MARQUISE.

Qui ? cette folle ! Ah mon dieu, non.

LA COMTESSE.

Allons chez Isabelle.

LA MARQUISE.

Encore pis.

LA COMTESSE.

Allons... Ah ! qu’est-ce que je vois ! Du Laurier, quel équipage est-ce ceci ?

 

 

Scène VIII

 

LA COMTESSE, LA MARQUISE, DU LAURIER, DUMONT

 

DU LAURIER.

J’en suis tout aussi savante que vous.

LA MARQUISE.

Bon, voilà qui va bien.

LA COMTESSE.

Ne pourrai-je savoir...

LA MARQUISE.

Vous saurez seulement que ce font là des suites de la lettre dont je vous ai parlé ce matin.

LA COMTESSE.

Je meurs d’envie de voir la fin de tout ceci. Ah justes dieux ! c’est bien pis : Monsieur Dumont ! Il entre donc dans ce mystère ?

LA MARQUISE.

C’est notre premier Acteur. Oh çà, sans nous amuser davantage, écoutez tous deux, en deux mots, tout ce que vous avez à faire. Prenez chacun une chaise, vous par un chemin, vous par un autre : rendez-vous tous deux dans l’allée des Soupirs, aux Tuileries.

À Dumont.

Tu n’as point de manteau !

DUMONT.

Vous ne m’avez point dit d’en prendre un.

LA MARQUISE.

Je te le dis donc. Enveloppe-toi le visage dedans ; et vous, ne vous démasquez point. Il n’est pas mal de laisser voir quelquefois le bas de ton juste-au-corps : ne cachez pas non plus votre robe de chambre. Quand vous aurez fait seulement un tour ou deux dans l’allée, vous sortirez par la porte de la Terrasse, ou vous trouverez un carrosse ; vous monterez dedans, vous ferez quelques tours par la Ville, et puis vous reviendrez ici.

DU LAURIER.

Reposez-vous sur moi, tout cela sera comme vous l’avez dit.

LA MARQUISE.

Écoutez au moins : Si par hasard Éraste n’était pas aux Tuileries, demeurez-y plus longtemps que je ne vous ai dit, car il est absolument nécessaire qu’il vous voie.

DU LAURIER.

Je n’y aurais pas manqué, Madame.

LA MARQUISE.

Adieu donc, allez-vous-en.

 

 

Scène IX

 

LA MARQUISE, LA COMTESSE

 

LA MARQUISE.

Hé bien, Madame, enfin que ferons-nous ?

LA COMTESSE.

Pour la féconde fois, tout ce que vous voudrez, Vous ne voulez point faire de visites ?

LA MARQUISE.

Le beau régal !

LA COMTESSE.

Voulez-vous venir à l’Opéra ?

LA MARQUISE.

Ah, Dieu m’en garde ! il me fatigue à mourir : au moins, je ne dis cela qu’à vous ; car ce serait un crime d’en dire autant dans le monde. Je sais qu’il est du bel air de faire l’adorateur de la Musique ; et je sais un de nos bons amis, âgé de soixante ans, qui dernièrement me vint dire, très sérieusement, que dans peu il espérait savoir solfier. Pour moi, quoique, fort jeune, l’on m’ait bercée de Musique, que l’on me l’ait fait apprendre avec soin, je vous jure que je n’ai pu, aux dépens du bon sens et de la raison, entendre tous ces Héros me parler de leurs malheurs en chantant.

LA COMTESSE.

Oh ! finissons cette matière ; nous entrerions dans une dissertation d’où nous ne sortirions pas aisément. Dites-moi, la Comédie Italienne vous plaît-elle mieux ?

LA MARQUISE.

Il faudrait être folle ; il n’y a ni rime ni raison à tout ce qu’ils font.

LA COMTESSE.

Et les Français ?

LA MARQUISE.

Selon. Il y a bien des choses à dire là-dessus ; ils ont si peu de bons Auteurs, et l’on sait les Pièces de Corneille et de Racine par cœur.

LA COMTESSE.

Oh bien, Madame, demeurez donc chez vous, puisque vous ne prenez de plaisir en aucun endroit.

 

 

Scène X

 

LA COMTESSE, LA MARQUISE, PICARD

  

PICARD.

Madame, voilà un Monsieur le Marquis, dont le nom est difficile comme tout, à qui on a dit que vous n’y étiez pas ; s’il en vient quelqu’autre, voulez-vous qu’on dise toujours de même ?

LA MARQUISE.

Non : à présent que l’on laisse entrer tout le monde.

LA COMTESSE.

Je vois bien que nous allons parler le reste de la journée à jouer, à notre ordinaire, au Lansquenet.

LA MARQUISE.

Oui, pourvu qu’il nous vienne du monde.

LA COMTESSE.

Ah ! vous êtes bien sûre de n’en pas manquer.

LA MARQUISE.

Je répondrais bien de Dorante.

LA COMTESSE.

Et moi d’Éraste.

LA MARQUISE.

Pas tant que vous croyez ; il a bien des affaires à présent. Hé bien ! que vous avais-je dit ? n’entends-je pas Dorante ?

 

 

Scène XI

 

LA MARQUISE, LA COMTESSE, DORANTE

 

DORANTE.

Oui, Madame, c’est moi. Voici un de vos adorateurs qui me suit, votre Maître à danser.

LA MARQUISE.

En vérité, Dorante, vous êtes fou. Ne vous avisez pas d’aller faire ces mauvaises plaisanteries-là par la Ville, cela me fâcherait.

DORANTE.

Quoi, Madame, vous appréhenderiez qu’on ne crût...

LA MARQUISE.

Hé mondieu ! l’on croit tous les jours des choses bien plus impossibles.

 

 

Scène XII

 

LA MARQUISE, LA COMTESSE, DORANTE, BENVILLE

 

BENVILLE.

Madame, je vous donne le bonjour.

LA COMTESSE.

Ah ! Monsieur de Benville, vous avez du dessein aujourd’hui. Quelle magnificence Madame ! le beau nœud d’épée ! cela vient de chez le Gras, ou de chez l’Aigu.

BENVILLE.

Madame, je ne fais pas où l’on l’a pris, je n’en acheté jamais.

LA COMTESSE.

Mais, Madame, regardez donc que les rubans en sont bien choisis : il est sans doute fait par les mains de l’Amour.

BENVILLE.

Madame...

LA MARQUISE.

Hé bien, Monsieur de Benville, danserons-nous aujourd’hui ?

BENVILLE.

Madame, nous ferons tout ce qu’il vous plaira.

LA MARQUISE.

En vérité, je ne suis guères en humeur de danser, mais il faut se forcer : car si je ne dansais pas, je vois bien qu’il se fâcherait. Allons, Monsieur.

BENVILLE.

Que voulez-vous danser, Madame ?

LA MARQUISE.

Ah ! je vous prie, rien que le Menuet.

BENVILLE.

Allons donc, dansons un Menuet. La, la, la, la, la, la, la, la, la ; que n’aimez-vous ta lera, ta la, la, etc. Il y a trop d’indifférence dans vos manières, Madame, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la, etc. Regardez-moi un peu, Madame, comme si vous dansiez avec quelqu’un qui ne vous déplut pas. La, la, la, la, la, la, la, la, la, etc. Vos yeux ne sont point assez tendres, Madame.

LA COMTESSE.

Comment donc, Monsieur ! a-t-on besoin de tendresse dans les yeux pour bien danser ?

BENVILLE.

Madame, on ne danse que pour plaire, et des yeux qui ne disent mot, font rarement parler des cœurs. La, la, la, la, la, la, la, la, etc. Allons, Madame, souvenez-vous de ce que je vous dis. Regardez-moi comme je tous regarde. La, la, la, la, la, la, etc.

LA MARQUISE.

Oh ! en voilà assez pour aujourd’hui.

DORANTE.

Mais, Monsieur, il me semble que vous ne lui avez parlé que d’yeux, que de tendresses, que de cœurs ; et vous ne vous attachiez point, comme les autres font, à ses bras, à ses jambes, aux mouvements de son corps.

BENVILLE.

Le cœur est le maître de tous les autres mouvements, et j’ai remarqué toute ma vie que les personnes qui savent bien aimer, dansent mieux que les autres.

LA COMTESSE.

Oh pour cela non, s’il vous plaît ; et j’en ai vu, qui pour aimer leur Maître même, n’en dansaient toutefois pas mieux.

 

 

Scène XIII

 

LA MARQUISE, LA COMTESSE, LE VICOMTE, DORANTE, BENVILLE

 

LE VICOMTE.

Ah, ah, voici bonne compagnie. Madame, je vous donne le bon soir. Hé Laquais, bonjour Dorante, remmène mon cheval. Hé voilà aussi mon petit Maître à danser ; courage Madame, cela va fort bien. Je vous avais prié, Madame ; vraiment, mon petit ami, vous apprendrai... Vertubleu, qu’est-ce que tout ceci, il n’y manque plus qu’Éraste, il se fait bien attendre aujourd’hui. Madame avec votre permission, Laquais, fais-moi monter un de mes gens.

LA MARQUISE.

Benville, allez-vous-en, ne vous exposez point aux brusqueries de ce fou.

BENVILLE.

Adieu, Madame.

 

 

Scène XIV

 

LA MARQUISE, LA COMTESSE, LE VICOMTE, DORANTE

 

LA MARQUISE.

En vérité, Monsieur le Vicomte, savez-vous que je suis fort lasse de toutes vos extravagances, et que vous m’obligeriez à la fin de vous faire quelque compliment qui ne vous plairait pas. De quel droit, s’il vous plaît, venez-vous ici vous plaindre des choses que l’on fait ? si quelque chose vous y gêne, il est aisé de vous en délivrer.

DORANTE.

Je suis ravi quelle ait eu la force de lui parler une fois comme elle doit.

LA COMTESSE.

Il ne s’attendait pas à un pareil compliment.

LE VICOMTE.

Madame, Madame, ne pouffez pas les choses si avant, et ne commencez pas la première. Il est vrai que je sens pour vous ; mais enfin la considération que votre famille a pour moi : vous allez vous promener... Non n’ayez point peur que je m’en prévale : je vais vous chercher : J’ai défendu plus de vingt fois à ce fat de Maître à danser... Enfin je ne vous ai pu joindre... S’il lui arrive jamais...

LA MARQUISE.

Et moi, je veux qu’il y soit tous les jours. Vraiment, je vous trouve encore bien plaisant. Mais finissons un peu tout cela, je vous prie, et ne donnons point la Comédie à toute la Ville.

LE VICOMTE.

Cela est fait, Madame, ce petit insolent, je vous en réponds, je me tairai.

LA MARQUISE.

Vous m’obligerez.

UN LAQUAIS.

Le Marquis de Messin, et le Chevalier de Fontevieu : Madame, fera-t-on entrer ?

LA MARQUISE.

Ah grand Dieu ! qui m’amène ici ces extragants ?

DORANTE.

En vérité, Madame, j’ai oublié de vous dire qu’ils me prièrent hier instamment de vous obliger à souffrir qu’ils vinssent vous faire la révérence, et jouer chez vous au Lansquenet.

LA MARQUISE.

Écoutez, Dorante, pour l’amour de vous je le veux bien. Qu’ils entrent, mais ils vont faire ici cent extravagances.

DORANTE.

Madame, ce font ces jeunes gens de la Cour à quoi il est bon de ne pas prendre garde.

 

 

Scène XV

 

LE MARQUIS, LE CHEVALIER, LE VICOMTE, LA MARQUISE, LA COMTESSE, DORANTE

 

LE MARQUIS.

Madame, que j’ai d’obligation à Dorante, je vous allure qu’il y a mille ans que je souhaitais le bonheur qui m’arrive aujourd’hui.

LA MARQUISE.

Monsieur, vous n’aviez besoin de personne pour cela, et votre nom suffit pour vous faire ouvrir toutes les portes.

LE CHEVALIER.

Pour moi, Madame, en vérité, je vois bien que je connais trop que de l’heure qu’il est, il ferait difficile, ou pour mieux dire presque impossible, et je vous le dis de tout mon cœur ; car enfin on vous a dit le premier ce que je pensais avant personne du monde.

LA MARQUISE.

Meilleurs, en vérité il n’y a rien de mieux dit, de mieux fait, rien n’est si charmant que toutes vos manières ; mais les beaux discours m’épouvantent.

LE CHEVALIER.

Oh pour le coup, Madame, il faut l’avouer tout net, cela faute aux yeux ; et de l’heure qu’il est, tout le monde connaîtra, tout le monde verra que vous êtes dans votre tort ; si les beaux discours vous épouvantent, je vous le dis de tout mon cœur, vous devriez être épouvantée de tout ce que vous dites.

LA MARQUISE.

Encore, Monsieur, oh j’aime bien mieux Monsieur le Marquis, et je lui suis obligée, de ne se pas servir de tout son esprit avec moi.

LE CHEVALIER, en chantant.

En lui donnant la préférence, vous me rendez la liberté. Le dépit qui me possède me guérira promptement ; vous en faites mon tourment, et j’en ferai mon remède.

LA MARQUISE.

Comment donc, Monsieur le Chevalier ! vous m’aimiez donc aussi ?

LE CHEVALIER, en chantant.

Mon amour paraît trop dans mes transports jaloux ; non, je ne puis aimer que vous.

LA COMTESSE.

Comment, Madame, cela est trop joli, une déclaration en Musique !

LA MARQUISE.

Oh, Monsieur le Chevalier, vous faites aller les affaires un peu trop vite ; il n’y a plus moyen d’y tenir, cela deviendrait à la fin scandaleux.

LE CHEVALIER, en chantant.

Ingrate, écoutez-moi, je ne veux plus me plaindre, je ne vous dirai rien qui vous puisse alarmer.

LE VICOMTE.

Tu ferais bien mieux de te taire ; aussi-bien il y a deux heures que tu ne fais ce que tu dis.

LE MARQUIS.

Hé, Chevalier, tu ne vois pas ce vieux fou de Vicomte ? Hé, bonjour, mon pauvre ami, comment te portes-tu ?

LE CHEVALIER.

Hé ! bonjour donc, mon enfant.

LE VICOMTE.

Allons donc, jeunes gens, point tant de familiarité.

LE MARQUIS.

Madame...

LE VICOMTE.

Soutenez-vous.

LE MARQUIS.

On dit que vous jouez...

LE VICOMTE.

Soutenez-vous.

LE MARQUIS.

Le plus beau jeu du monde ?

LE VICOMTE.

Soutenez-vous donc.

LE MARQUIS.

Allons donc, vieux fou, tenez-vous bien, je veux demeurer là.

LA MARQUISE.

Ils le choisissent là dans un temps bienheureux.

LE CHEVALIER.

Vicomte, n’est-il pas vrai que je suis bien sage ?

LE VICOMTE.

Ôtez-vous aussi, Chevalier, je suis las, vous ne valez pas mieux qu’un autre.

LE CHEVALIER.

Écoutez, vieux coquin, si vous me faite mettre sur vous...

LA MARQUISE.

Sont-ce là les airs de la Cour ; car depuis que je suis veuve, j’ai oublié comment on s’y gouverne.

DORANTE.

Ce sont les airs de quelques-uns, Madame, mais il ne serait pas à propos que toute la Cour leur ressemblât.

LE VICOMTE.

Chevalier, Marquis, par ma foi, quels impertinents sont ceci ? Par ma foi, je frapperai sur l’un et sur l’autre.

LE MARQUIS.

Vieux scélérat.

LE VICOMTE.

Petit garçon.

LE CHEVALIER.

Vieil infâme.

LE VICOMTE.

Je le dirai à votre père.

LA COMTESSE.

Il n’y a plus moyen d’y tenir. Allons tirer les places, nous les ferons finir.

LA MARQUISE.

Allons, Dorante, qui veut jouer ?

LE VICOMTE.

Tenez-vous donc.

 

 

Scène XVI

 

LE MARQUIS, LE CHAVALIER, LE VICOMTE, LA MARQUISE, LA COMTESSE, DORANTE, DEUX JOUEURS, MADAME ARGANTE

 

 

MADAME ARGANTE.

Hé ! qu’est-ce, Madame la Marquise ? vous commencez bien tard aujourd’hui. Voilà les deux plus grands Joueurs de Paris, Monsieur d’Archambaut et Monsieur Ardouin, que je vous amené.

LA MARQUISE.

Pour cela, on die que ces Messieurs jouent leur argent le plus noblement du monde. Combien sommes-nous ? allons, entrons dans cette Salle.

LE MARQUIS.

Entrez, vieux fou.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

LA MARQUISE, LA COMTESSE

 

LA MARQUISE.

Enfin voilà tout le mystère, puisque vous voulez le savoir ; qu’en dites-vous ?

LA COMTESSE.

Que j’ai grand peur que vous ne vous repentiez d’avoir eu trop d’esprit ! Que vous mettez Éraste à une terrible épreuve ! et enfin je crois qu’il ferait bien mieux d’ignorer les choses qui ne sauraient que vous donner du déplaisir à apprendre. Que vous importe qu’Éraste voie Dorimène, ou qu’il ne la voie pas ? pouvez-vous douter qu’il ne vous aime ? n’est-il pas ici tant qu’il vous plaît ! n’a-t-il pas pour vous tous les égards, toutes les complaisances imaginables ? souhaite-t-il autre chose au monde que de vous épouser ?

LA MARQUISE.

Oh ! pour m’épouser, je suis persuadée qu’il ne cherche autre chose : il a ses raisons pour cela ; mais je voudrais qu’elles ne fussent que de tendresse.

LA COMTESSE.

Vous chercherez tant, que vous trouverez à la fin quelque chose qui vous déplaira.

LA MARQUISE.

Je saurai aujourd’hui assurément tout ce que je veux savoir. S’il ne voit point Dorimène, je l’épouse demain, malgré tous les obstacles que ma famille y pourrait mettre. S’il la voit, je ne le verrai de ma vie.

LA COMTESSE.

Cela est bien dur.

LA MARQUISE.

Cela sera comme je vous le dis ; et malgré la tendresse... Car enfin je veux bien vous l’avouer une seconde fois je l’aime ; et l’inquiétude où je suis à présent, vous découvrirait assez ce que je voudrais vous taire. Mais je ne comprends pas qui peut empêcher Dumont et du Laurier de revenir ; ils devraient être ici.

LA COMTESSE.

Vous verrez qu’ils auront attendu longtemps aux Tuileries, comme vous leur avez dit, et qu’Éraste n’y sera point venu.

LA MARQUISE.

Plût au Ciel ! Mais non, Madame, dites plutôt qu’Éraste aura peut-être fait quelque extravagance : car je le connais. Quand il n’aurait pas pour moi une passion bien violente, sa vanité lui tiendra lieu de tendresse. Il ne peut souffrir qu’on lui dispute quelque chose, et j’appréhende qu’il n’ait insulté ce pauvre Dumont.

LA COMTESSE.

Il a trop de respect pour vous, Madame, et quelque envie qu’il eût d’insulter le Cavalier, la présence de du Laurier, qu’il croira vous-même, suffit pour arrêter tous ses transports.

LA MARQUISE.

Je suis dans une impatience...

 

 

Scène II

 

LE VICOMTE, LA MARQUISE, LA COMTESSE

 

LE VICOMTE.

Il est impossible de vous trouver seule, Madame.

LA COMTESSE.

Si vous voulez, Monsieur, je me retire.

LE VICOMTE.

Non, non, Madame ; et comme je n’ai rien que de fort raisonnable à lui dire ; est-elle sortie ? non, non, demeurez, je ne serai pas fâché que vous l’entendiez.

LA MARQUISE.

Et moi je ferai ravie que vous écoutiez tout ce que je lui répondrai.

LE VICOMTE.

Hé bien, Madame, enfin, je puis donc un moment vous parler ?

LA MARQUISE.

Vous pouvez, à présent même, me parler plus longtemps si vous voulez.

LE VICOMTE.

Vous m’écouterez ?

LA MARQUISE.

Je vous le promets ; mais j’appréhende que ce ne soit en vain.

LE VICOMTE.

Pourquoi ?

LA MARQUISE.

C’est que vous ne vous écoutez pas vous-même, vous parlez toujours de quatre choses à-la-fois, et vous en pensez mille.

LE VICOMTE.

Cela ne m’arrivera plus, Madame, non plus que de jouer au Lansquenet. Combien y avez-vous gagné ? Mais il n’est point question ici de Lansquenet, une affaire plus sérieuse... Avez-vous remarqué, dites-moi, mon malheur ? je n’ai pas été laissé une fois. Je vous prie, Madame, que le petit Maître à danser ne vienne plus ici. Nous ne finissons rien, Madame, voyons donc je vous prie ; mais le moyen ? je vous conjure d’entendre le vacarme de tous les possédés. Que faut-il que nous fassions ? vous savez le dessein de votre famille.

LA MARQUISE.

Oh pour le coup, on aurait tort de se plaindre de vos distractions ; cependant, Monsieur, pour répondre à ce que vous pensez, et non point à ce que vous me dites, je vous répéterai que je suis prête à vous épouser, si vous le voulez.

LE VICOMTE.

Hé ! que voulez-vous que je fasse d’Éraste ! J’ai laissé ma tabatière là-dedans. Que deviendra le Maître à danser ?

LA MARQUISE.

Pour le Maître à danser, n’en parlons plus, je vous conjure ; et pour Éraste, je vous avoue qu’il me plairait bien mieux que vous.

LE VICOMTE.

Vous ne déguisez point vos sentiments.

LA MARQUISE.

Vous m’apprenez à ne me point contraindre.

 

 

Scène III

 

MADAME ARGANTE, LA COMTESSE, LA MARQUISE, LE VICOMTE

 

MADAME ARGANTE.

Ah mondieu ! qu’est-ce ceci ?

LA MARQUISE.

Qu’entends-je ? qu’avez-vous, Madame Argante ?

MADAME ARGANTE.

Madame, coupe gorge, premier pris. Hé, là, là, ne riez pas tant : ce sont des choses qui peuvent arriver à tout le monde.

 

 

Scène IV

 

MADAME ARGANTE, ARCHAMBAUT, ARDOUIN, LA COMTESSE, LA MARQUISE, LE VICOMTE

 

ARCHAMBAUT.

Hé bien, Madame Argante, n’êtes-vous pas bien avancée ? Tenez, Monsieur le Vicomte, elle a eu l’opiniâtreté de couper cinq fois de suite.

LA MARQUISE.

Hélas ! on ne fait guères ce que l’on fait.

ARDOUIN, en entrant.

Où est-elle, cette Madame Argante ? Avec votre permission, Madame, la voilà cette main, que je la baise, que je la baise : elle n’est pas belle, non, mais elle est bonne.

MADAME ARGANTE.

Madame la Marquise, je vous prie, faites-moi un plaisir, au moins va toujours le jeu : prêtez-moi trente pistoles, que je vous rendrai demain matin.

LA MARQUISE.

Les voilà juste dans cette bourse.

MADAME ARGANTE.

Je vous assure que demain à votre levé...

LA MARQUISE.

Vous vous moquez, allez, ne perdez point de temps.

MADAME ARGANTE.

Madame, je vous remercie.

 

 

Scène V

 

LA MARQUISE, LA COMTESSE, LE VICOMTE

 

LA MARQUISE.

Pour achever donc ce que je vous disais, mon pauvre Vicomte, je n’irai point contre les sentiments de ma famille, qui souhaite que je vous épouse ; mais vous, si vous ne vouliez point en galant homme vous prévaloir de leur faveur...

LE VICOMTE.

Madame, je vous aime.

LA MARQUISE.

Prouvez-le-moi, en ne m’épousant pas.

 

 

Scène VI

 

LA MARQUISE, LA COMTESSE, LE VICOMTE, DORANTE, LE CHEVALIER, LE MARQUIS

 

DORANTE.

Il n’y a plus moyen de demeurer là-dedans, c’est un tintamarre épouvantable ; Madame Argante est au désespoir, elle en a déchiré ses coiffes.

LE CHEVALIER.

J’ai vu l’heure qu’elle allait me dévisager.

LA MARQUISE.

Elle perd donc beaucoup ?

DORANTE.

Elle a perdu jusqu’au dernier sou.

LA MARQUISE.

Qui gagne donc ?

LE MARQUIS.

Madame la Comtesse et Dorante ne nous ont pas laissé de quoi souper. Mais j’ai ici un homme auprès de moi, quia toujours deux pistoles à mon service.

LE VICOMTE.

Il faut mieux rendre que vous ne faites, pour se conserver du crédit.

LE CHEVALIER.

Vicomte, le Marquis est un fripon ; mais moi...

LE MARQUIS.

Je parie qu’il m’en prêtera plutôt qu’à toi.

LE VICOMTE.

Je n’en prêterai ni à l’un ni à l’autre.

LE CHEVALIER.

Vicomte ?

LE MARQUIS.

Vicomte ?

LE VICOMTE.

Hors de-là, je n’ai pas un sou.

LE CHEVALIER.

Mon pauvre Vicomte ?

LE VICOMTE.

Dieu vous assiste.

LA MARQUISE.

Voyons un peu la fin de tout ceci.

LE MARQUIS.

Chevalier, sais-tu ce qu’il faut faire ?

LE CHEVALIER.

Il le faut battre comme un diable, s’il ne nous donne ce que nous lui demandons.

LE MARQUIS.

Tu l’as deviné.

LE CHEVALIER.

Vieux fou.

LE VICOMTE.

Tenez, voilà une pièce de quatre pistoles pour vous deux, mais n’y revenez plus.

DORANTE.

Vous voyez qu’il en sort fort bien, en payant.

LE MARQUIS.

Il n’a jamais rien fait de mieux en toute sa vie.

LA COMTESSE.

Quoi ! des menaces encore ?

LE CHEVALIER.

Il sentait déjà son vieux battu.

LE MARQUIS.

Hé bien ! qu’est-ce, Madame Argante vous voilà bien affligée ?

MADAME ARGANTE.

On le serait à moins.

LE CHEVALIER.

Elle a jouée, aussi-bien que moi, d’un furieux malheur.

MADAME ARGANTE.

Tant mieux, vous ne paierez pas pour moi.

DORANTE.

Messieurs, il faut laisser en repos les gens qui ont perdu leur argent. Vous voyez que je ne lui dis mot, et je suis sûr que je serai toujours de ses amis.

MADAME ARGANTE.

Oh parbleu ! vous n’aurez jamais mon argent et mon amitié tout ensemble.

LA MARQUISE.

Où allez-vous, donc ?

MADAME ARGANTE.

Madame, je vous donne le bonsoir.

LA COMTESSE.

Adieu, Madame Argante.

MADAME ARGANTE.

Adieu, adieu.

LA MARQUISE.

Laquais, éclairez.

LE MARQUIS.

Allons, Chevalier. Je crois qu’il ne serait pas mal-à-propos de se retirer ; aussi-bien je vois que Madame la Marquise a de l’inquiétude.

LA MARQUISE.

Je vous avoue, Monsieur, que je ne suis pas bien à moi, et que j’ai quelque chose dans l’esprit qui m’embarrasse.

LE MARQUIS.

Nous serions au désespoir d’en être la cause.

LE CHEVALIER.

Le Marquis est un sot, Madame ; et pour moi je vous avoue franchement, et sans détour, que je me tiendrais fort heureux si j’étais l’objet de tant d’inquiétudes ; ce n’est pas là ce qui m’aurait fait quitter la place.

J’ai voulu la quitter, cette Beauté cruelle,

Et j’éprouve qu’en la quittant,

En chantant,

Mon cœur est moins content.

LA MARQUISE.

Messieurs, je ne puis en Musique ; mais, en mauvaise prose, je vous remercie de l’honneur que vous m’avez fait.

LE CHEVALIER.

Tiens, vieux ladre, voilà ta pièce de quatre pistoles, au moins.

LE VICOMTE.

Bon, tant mieux, c’est autant de gagné.

LA MARQUISE.

Dieu merci, nous en voilà débarrassés.

 

 

Scène VII

 

LA MARQUISE, LA COMTESSE, DORANTE, LE VICOMTE

 

DORANTE.

Madame, je vous demande mille pardons.

LA COMTESSE.

Dorante, ce n’est pas à Madame qu’il faut demander pardon, c’est à Monsieur le Vicomte, qu’ils ont pensé désespérer.

DORANTE.

Bon, bon, ils raillent tous comme cela avec Monsieur le Vicomte : vous ne voyez rien, ils se mettent quelquefois quatre sur lui, et l’assomment de coups.

LE VICOMTE.

Et quelque jour, moi, je leur romprai la tête avec mon bâton.

LA MARQUISE.

Ma foi, vous ferez bien, en vérité, ce sont là de terribles plaisanteries pour des gens de qualité.

DORANTE.

Tout cela n’est rien, Madame : Si vous les aviez vus entr’eux se donner des soufflets, des coups de pied, s’arracher leurs perruques, se rompre une canne sur le dos, se cracher au visage...

LA COMTESSE.

Et tout cela en riant ?

DORANTE.

Vraiment oui, Madame ; autrement celui qui se fâcherait, ne saurait pas vivre.

LA MARQUISE.

Cela est fort agréable. Mais, Madame, Dumont ne revient point. Ah ! que je suis ravie, le voilà justement.

 

 

Scène VIII

 

LA MARQUISE, LA COMTESSE, LE VICOMTE, DORANTE, DUMONT

 

LE VICOMTE.

Ah, ah, quelle nouvelle figure est ceci ? Hai, mon petit frisé, ceci cache du mystère ; mais, Madame, il faut que ma discrétion ; que viens-tu faire ici ? je n’en manque pas, comme vous voyez. D’où viens-tu ? je veux le savoir.

LA MARQUISE.

Et vous allez l’apprendre, pourvu que vous vous donniez la patience de l’écouter, c’est la grâce que je vous demande : tout le mystère sera éclairci devant vous, et vous pouvez bien croire, qu’après l’aveu que je vous ai fait de ma tendresse pour Éraste, il doit me rester peu de choses à vous cacher.

LE VICOMTE.

Oh, parsanbleu, j’aurai le plaisir de l’interroger.

LA MARQUISE.

Prenez le parti de sortir, ou de vous taire.

LE VICOMTE.

Il n’y a point à choisir, ceci vaudra peut-être bien le Maître à danser.

LA MARQUISE.

Monsieur...

LE VICOMTE.

Je me tairai.

LA MARQUISE.

Hé bien, mon enfant, comment tout cela s’est-il passé ?

DUMONT.

Une partie s’est parlée assez bien, l’autre assez mal, comme vous allez entendre.

LA COMTESSE.

Comment donc ! te voilà sans chapeau, sans épée ?

DUMONT.

Dites aussi, sans manteau.

LA MARQUISE.

Comment donc ?

DUMONT.

J’ai été volé.

LA MARQUISE.

Par qui ?

DUMONT.

Par des Voleurs.

LA MARQUISE.

À l’heure qu’il est, voler !

DUMONT.

À l’heure qu’il est.

LA MARQUISE.

Étaient-ils plusieurs ?

DUMONT.

Non, ils n étaient qu’un.

LA MARQUISE.

Le reconnaîtras-tu bien ?

DUMONT.

Si je le connaîtrai ? c’est Éraste.

LA MARQUISE.

Tu es fou.

DUMONT.

Je ne suis point fou.

LA MARQUISE.

Il était donc aux Tuilleries ? je suis perdue !

DUMONT.

Laissez-moi commencer par un bout, et je finirai par l’autre ; car si vous m’embrouillez toujours...

LA MARQUISE.

Tais-toi, je ne veux rien savoir davantage.

LE VICOMTE.

Je me suis tu à condition.

LA COMTESSE.

Mais, Madame, écoutez ; peut-être cela n’est-il pas tout-à-fait comme vous vous l’êtes imaginé.

LA MARQUISE.

Parle donc, et finis le plus promptement que tu pourras.

DUMONT.

Je suis arrivé le premier aux Tuileries, ou je n’aurais jamais trouvé l’allée des Soupirs, si je ne m’étais avisé de la demander au Portier, qui me l’a enseignée. J’avais toujours le nez dans mon manteau, comme vous m’aviez dit ; je me promenais gravement, j’entendais des gens d’un côté qui disaient, c’est Monsieur le Marquis un tel ; un autre disait, c’est Monsieur le Comte, il ne vient pas ici pour rien. Les uns disaient que oui, les autres disaient que non. Ce Monsieur est mieux fait, disaient les premiers ; les autres répondaient, il est vrai qu’il a meilleur air.

LE VICOMTE.

Je ne comprends rien à tout cela.

LA MARQUISE.

Oh ! finis, je t’en prie.

DUMONT.

Je n’ai pas encore commencé. Enfin, de semblables disputes s’excitaient de tous côtés, lorsque j’ai aperçu Éraste qui venait par une allée, et du Laurier qui arrivait par une autre. J’ai couru l’aborder du meilleur air du monde ; et malgré l’application d’Éraste, à venir nous regarder sous le nez, nous avons exactement fait les tours d’allées que vous nous aviez prescrits. Ensuite nous sommes sortis par la porte de la Terrasse : du Laurier est montée dans le carrosse, je lui ai donné la main, j’y suis monté ensuite. Jusque-là tout allait le mieux du monde ; et les chevaux à peine, après vingt coups de fouet, commençaient à marcher, lorsqu’Éraste s’est mis à courir après nous ; et comme malheureusement notre Fiacre allait fort doucement, il n’a pas eu grande peine à nous joindre. Je ne devinais point la raison qui le faisait courir si fort ; mais, Madame, c’était mon manteau qui lui avait donné dans la vue ; car dans les Tuileries, il ne faisait autre chose que de roder à l’entour de nous, et de nous regarder depuis les pieds jusqu’à la tête.

LA MARQUISE.

Auras-tu bientôt fait ?

DUMONT.

Tout à l’heure, Madame. C’est dans la rue Saint Honoré qu’il a fait arrêter le Cocher, et ouvert lui-même la portière de notre carrosse : Madame, a-t-il dit d’abord, je suis au désespoir de manquer au respect : que je vous dois, mais c’est à ce Cavalier-ci à m’en punir, et c’est lui que je veux voir au visage. Il m’a prié fort honnêtement de le découvrir ; je lui ai dit que je n’avais point d’ordre pour cela : il me l’a dit plusieurs fois ; et comme il voyait que je n’en faisais rien, il m’a pris civilement par le bras, et m’a fait descendre du carrosse, à la vérité un peu plus vite que je n’aurais voulu. D’abord, l’épée à la main, m’a-t-il dit, et moi de répondre toujours, je n’ai point d’ordre. Là-dessus, d’un soufflet il a fait tomber mon chapeau ; il m’a arraché mon manteau, et de mon épée même, il m’en a donné plus de mille coups. Il ne m’a point voulu laisser remonter dans le carrosse, j’ai eu beau lui dire que j’avais encore quelques tours à faire par la Vile, il a recommencé de me battre. Durant ce temps, du Laurier a fait avancer le carrosse ; et nous nous sommes à la fin lassés tous deux, lui de me battre, et moi d’être battu. Ensuite il a voulu retourner au carrosse, qui n’y était déjà plus ; et moi j’ai pris ce temps pour venir au plus vite vous faire un fidèle récit de mes tragiques aventures.

LE VICOMTE.

J’en ferai quelque jour autant au Maître à danser.

LA MARQUISE.

Hé bien, Madame, vous voyez bien qu’Éraste n’est qu’un infidèle.

LA COMTESSE.

Tout ce procédé là, ne marquerait à toute autre que vous, qu’une passion bien violente.

LA MARQUISE.

Oh bien, Madame, je ne suis pas de même, je n’y remarque que de la vanité ; et de semblables procédés me guérissent si absolument, que vous ne remarquerez plus rien que de fort indifférent dans tout ce que vous m’allez voir faire. Dumont, cache-toi vite dans cette chambre, j’entends quelqu’un qui monte, ce pourrait être Éraste. Je ne me suis point trompée, je le vois.

 

Scène IX

 

LA MARQUISE, LA COMTESSE, LE VICOMTE, DORANTE, ÉRASTE

 

ÉRASTE.

Vous devriez choisir, Madame, des gens plus dignes des faveurs que vous leur prodiguez : Voilà l’épée du Cavalier que je vous rapporte, car je crois bien qu’il ne se présentera pas davantage à mes yeux.

LA MARQUISE.

Donnez, Monsieur, donnez, j’aurai soin de la lui rendre : il n’est peut-être pas loin d’ici. Mais je vous prie de ne pas vous en faire tant à croire y vous devez plus à son obéissance, que vous ne devez à votre valeur. Je lui avais commandé de souffrir tour ce qu’il a souffert, vous voyez qu’il fait obéir mieux que vous. Je ne vous avais pas mis, à beaucoup près, a une si forte épreuve. Hélas ! je ne vous avais prié d’autre chose que de ne plus voir Dorimène. Monsieur le Vicomte, tout ceci ne doit point vous surprendre, vous savez que je vous ai avoué ingénument que j’avais de la tendresse pour Éraste. Madame, vous savez que je vous disais tout à l’heure que je n’épouserais jamais qu’Éraste, si je pouvais être assurée qu’il ne vît plus Dorimène.

ÉRASTE.

Ah ! vous serez la seule coupable, je ne l’ai point vue, et je ne vous laisserai rien qui puisse justifier le procédé infâme qui vient de paraître à mes yeux.

LA MARQUISE.

Pour le procédé infâme dont vous m’accusez, il est bon que je m’en justifie aux yeux de ceux qui sont ici ; et puis il sera bon de vous convaincre que vous avez vu Dorimène tous les jours de votre vie. Commençons par l’un, nous finirons par l’autre. Dumont, venez ici.

 

 

Scène X

 

LA MARQUISE, LA COMTESSE, LE VICOMTE, DORANTE, ÉRASTE, DUMONT

 

LA MARQUISE.

Éraste, voilà le digne champion contre qui vous avez si vaillamment combattu. J’ai peur que cette victoire ne vous fasse pas beaucoup d’honneur.

ÉRASTE.

Que vois-je !

DUMONT.

Monsieur, je vous prie, rendez-moi mon manteau.

LA MARQUISE.

Tais-toi.

DUMONT.

Madame, il n’est pas à moi.

LA MARQUISE.

Et voici tout à propos l’Héroïne qui vous a donné tant de chagrins.

 

 

Scène XI

 

LA MARQUISE, LA COMTESSE, LE VICOMTE, DORANTE, ÉRASTE, DUMONT, DU LAURIER

 

DU LAURIER.

Par ma foi, Madame, j’en ai eu tout au moins autant que lui. Comment diantre, des épées nues !

LA MARQUISE.

Paix. Vous voyez bien, Monsieur, que ma conduite est assez justifiée, venons un peu à la vôtre. J’ai fait donner avis à Dorimène, par une lettre d’une main inconnue, que j’avais un rendez-vous. Si vous n’aviez point vu Dorimène, vous ne l’auriez pas su ; mais elle vous a si bien instruit, que vous n’avez manqué ni l’heure ni le lieu : Vous n’avez pu même vous empêcher de vous en plaindre a du Laurier, vous voyez qu’il faut être plus habile que vous ne l’êtes, pour tromper longtemps une personne comme moi. Malheureusement vous avez été voir aujourd’hui Dorimène, elle vous a assuré que j’avais un rendez-vous, vous l’avez cru ; mais vous n’avez trouvé qu’un rendez-vous imaginaire, quand j’ai découvert que vous me trompez réellement.

ÉRASTE.

Ah Madame ! il est vrai, je l’ai vue ; mais si l’aveu de mon crime pouvait m’en faire obtenir le pardon, ou si vous vouliez juger de l’excès de mon amour par l’excès de ma jalousie ; si mes larmes, un repentir sincère...

LA MARQUISE.

Éraste, brisons-là, je vous prie ; ce langage n’est plus de saison : ne perdons point ici des larmes et des soins qui seraient mal récompensés, et qui vous nuiraient peut-être auprès de Dorimène. Croyez-moi, vous avez désormais intérêt de la ménager.

ÉRASTE, s’en allant.

Ah Ciel !

LA MARQUISE.

Pour vous, Monsieur le Vicomte, je suis toujours dans les sentiments où vous m’avez vue, et je vous épouserai quand vous voudrez.

LE VICOMTE.

Dieu m’en garde, Madame : Éraste est en allé. Si vous en savez tant contre les gens que vous aimez. Je suis tout étourdi. Que feriez-vous donc contre moi ?

LA MARQUISE.

Je vous conseille de garder de pareils sentiments.

LA COMTESSE.

Dorante.

DORANTE.

Madame, je vous entends, vous ne trouverez jamais en moi qu’un homme qui sera toute sa vie entièrement à vous.

LA MARQUISE.

Madame, allons souper.

DUMONT.

Qui me paiera mon manteau ?

LA MARQUISE.

Tais-toi.

DUMONT.

Du Laurier, à la fin des Comédies ou Tragédies, car j’ai versé du sang suffisamment dans cette aventure pour l’appeler ainsi ; à la fin, dis-je, il faut un mariage : qu’en dis-tu ?

DU LAURIER.

Moi ! ce que tu voudras.

DUMONT.

Nous marierons-nous ?

DU LAURIER.

Je le veux bien.

DUMONT.

Et moi aussi, touche-là.

DU LAURIER.

Vas, je suis ta femme.

DUMONT.

Et moi, je suis ton mari.

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